Action collective face à la contre-réforme des retraites : entre guérilla et résistance sociale sans violence

mis en ligne le 11 novembre 2010
1612MaunouryDébuté en mars 2010, et depuis huit mois, face à la contre-réforme des retraites, le mouvement social a mobilisé à sept reprises plusieurs millions de salariés dans les secteurs public et privé, chez les précaires, les chômeurs et la jeunesse étudiante qui, au sein des luttes, ont retrouvé le goût de l’action collective.
La popularité de ce mouvement dépasse la stricte remise en cause des retraites et cristallise de nombreuses frustrations liées à la montée de l’injustice sociale. Chacun perçoit que celle-ci constitue une attaque de plus contre nos conditions de vie et se conjugue avec une inégalité de plus en plus importante du partage des richesses (actionnaires, banquiers, patrons et tout ce qui compose la haute bourgeoisie entrepreneuriale et financière n’ont jamais été aussi bien protégés par l’État). Elle est devenue la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
La mobilisation, après s’être radicalisée, porte maintenant en elle des revendications sociales qui dépassent le sujet des retraites.
Pourtant elle était partie d’une contestation classique. Comme lors des précédents mouvements sociaux de 1995 ou de 2003, la mobilisation avait été initiée, en premier lieu, par les fonctionnaires et les agents des grandes entreprises de transport.
Dans un premier temps, nous avons vu que les syndicats étaient largement débordés par les actions collectives d’une base qui s’est construite dans la solidarité entre militants syndicaux et une population exaspérée. L’action et la volonté, parfois obscures, des militants anarchistes syndicalisés ne sont pas à négliger dans leur rôle de minorités agissantes. Le mécontentement de cette base reste tellement intense que les syndicats, après la crise de la réforme de leur représentativité, et l’échec répété des intersyndicales, sont parvenus, malgré leurs désaccords, à rester unis. Et les grandes organisations, malgré leurs institutionnalisations, ont jusqu’à présent préservé leur capacité à absorber dans leurs rangs les insatisfactions et les colères diverses et variées. Grace à la radicalisation des bases syndicales, un frémissement de resyndicalisation est perceptible, surtout à la CGT et à Sud.
Et, même si le syndicalisme français actuel s’est largement égaré dans les voies de la concertation et parfois, pour certains, de la compromission avec l’État et le patronat en désertant le champ de l’action directe et de la lutte, ce regain est évidemment une bonne nouvelle pour la négociation sociale. On sait par expérience et pragmatisme que les représentants du personnel, quand ils sont syndiqués, disposent d’une plus grande autonomie et d’un poids plus important qui leur permet d’obtenir des compromis plus avantageux pour les conditions de travail et les salariés. C’est aussi un facteur de plus grande conflictualité. La présence syndicale reste un outil : ainsi, les établissements défendus par un délégué syndical sont plus nombreux à entrer en grève que ceux qui n’en ont pas.
Par la suite, la contestation fut portée par des acteurs moins attendus. D’abord, les blocages stratégiques des raffineries par les ouvriers avec l’aide des collectifs intersyndicaux et interprofessionnels ont surpris les médias et les pouvoirs publics, et contraint l’État à ouvrir ses stocks réservés aux situations de pénurie.
Puis, à la surprise de tous, la jeunesse a emboîté le pas sur la voie de la radicalisation. D’abord, les lycéens et collégiens, suivis par les étudiants, qui ont perçu à leur tour dans cette contre-réforme, une aggravation de leur futur, aussi bien pour leur cadre professionnel que pour leurs temps libres.
Avec l’arrivé des jeunes, les violents affrontements de Nanterre et du centre-ville de Lyon, avec ses caillassages, ses heurts avec les forces de coercition, ses pillages de commerces, ses dégradations sur le mobilier urbain et l’incendie de véhicules, permettent au gouvernement, avec l’aide des médias, de relancer la peur, de stigmatise les « casseurs » pour favoriser l’adhésion de certaines couches de la population à leur démarche sécuritaire.
Le phénomène des « casseurs » n’est que les résultats de la conjonction de la peur des populations jeunes pour leur avenir et de l’exaspération sociale qui se décline par le chômage, la précarisation, l’absence de satisfaction de certains besoins fondamentaux, le mépris et le racisme primaire, la stimulation à outrance des désirs consuméristes, l’injustice sociale, le morcellement et la division antagoniste des classes défavorisées et salariales organisés par l’autorité politique étatique et certains médias, etc. Et j’en passe…
Mais qui sont donc ces jeunes qui vont devenir ces « casseurs » ?
La réponse est toujours la même depuis les dernières manifestations impliquant la jeunesse (comme le mouvement anti-CPE en 2006) : c’est un mélange de jeunes très politisés, pris dans une démarche politique de type révolutionnaire et insurrectionnel, qui défient le pouvoir en place, de jeunes de banlieues pauvres qui viennent faire l’émeute en centre-ville, des petits délinquants parmi lesquels on trouve nombre de « cousins » de la police, qui viennent avant tout se servir dans les magasins. Ajoutons les provocations policières et l’infiltration de flics en civil parmi les émeutiers. Rien de nouveau, au moins depuis les années 1990.

La 7e journée de mobilisation
Pour la propagande médiatique, le constat est unanime, la septième journée d’action du 28 octobre 2010 marque un fléchissement par rapport aux journées précédentes. Aussitôt, Le Monde a titré « Une septième journée sans illusion » et TF1 a noté « une certaine forme de fatigue ».
Mais qu’importe les chiffres qui valsent au gré du ministère de l’Intérieur, des syndicats et des journalistes, le mouvement collectif reste fort alors que la loi a été définitivement adoptée mercredi et que les vacances scolaires rendent plus difficiles les mobilisations. Des manifestations importantes ont encore eu lieu à Paris, Marseille, Toulouse, Lyon. Des cortèges qui ont rassemblé plusieurs milliers de personnes ont été organisés en région, dans de nombreuses villes plus petites. Ce qui a fait au total 270 manifestations. Les mouvements de grève dans les transports et le secteur de l’énergie se font nettement moins nombreux.
à cause de la Toussaint, les lycéens étaient cette fois bien moins présents dans les cortèges. Mais leur absence fut compensée par des étudiants fortement motivés et qui voient, autour de l’Unef, de Sud Étudiants et de la CNT-FTE, le nombre de ses assemblées générales s’accroître dans de nombreuses universités.
Par souci de ne pas rendre l’ensemble du mouvement impopulaire et aussi par une forme de résignation, les salariés des raffineries en grève ont marqués le pas, et malgré le grand élan de solidarité de ces dix derniers jours, les installations de Total comme celles de Feyzin dans les Bouches-du-Rhône et de Donges en Loire-Atlantique ont voté la reprise du travail. Le blocage des ressources pétrolières a bel et bien trouvé ses limites humaines et psychologiques.
En même temps, la motivation des manifestants reste forte. Beaucoup de ceux qui ne manifestent pas soutiennent le mouvement et bien qu’il y ait moins de grévistes, les gens sont en colère et se plaignent qu’« on leur demande de faire toujours plus avec moins, ils ne veulent pas partir au-delà de 60 ans ». Il est vrai que les sondages restent largement favorables aux manifestants : 65 % des Français apportent ainsi leur soutien à la journée de grève et de mobilisation de ce jeudi (selon un sondage CSA paru dans Le Parisien).
De nombreuses voix de manifestants proposent de bloquer le pays avec des méthodes douces. Certains veulent retirer leurs espèces de la banque, d’autres envisagent « la grève de la consommation : une baisse de 10 % de la consommation des ménages nous permettrait à tous de tenir les mecs du Fouquet’s. Nous achetons un maximum local pour éviter d’engraisser des actionnaires, la viande est achetée directement à la ferme, nous cultivons des légumes, n’achetons plus aucune boisson, l’eau du robinet suffit. Faisons notre pain nous-mêmes et plus aucun achat bling-bling ».
Les vrais gens, comme nous baptisent les médias, avec leur volonté, ont des ressources insondables pour organiser une résistance qui peut durer.
La réforme nous cachait le projet Sevriena, l’entreprise sarkozyste de démolition des retraites 1.
De nombreuses personnes ne confondent pas la loi avec la justice et ce n’est pas parce qu’une loi est votée par les deux assemblées qu’elle est juste et qu’il ne faut pas continuer à la contester. Le parlementarisme, ce n’est pas une véritable démocratie. Bien que les ministres et les députés UMP nous martèlent avec véhémence qu’ils ont la majorité, il nous faut savoir que si nous tenons compte de l’ensemble de la population française inscrite sur les listes électorales, Nicolas-le-Bref, en pleine période de gloire, n’a obtenu que 44,45 % des suffrages et son groupe parlementaire que 33,29 %. Une majorité qui sans nul doute est bien relative !
Mais avec assurance, cet attelage d’incapables ploutocrates et arrivistes nous impose une contre-réforme malhabile et bâclée qui ne fait que répondre aux exigences des marchés, de la Commission européenne et du FMI. Et surtout celui-ci ne fait que traduire le népotisme de Nicolas Sarkozy, qui réussit ainsi à faire un cadeau impérial aux fonds de pension privés, au groupe CNP Assurances et au groupe Malakoff Médéric dirigé par un certain Guillaume Sarkozy. Dans le document du Cor (Conseil d’orientation des retraites), on découvre le pactole potentiel de collecte d’épargne-retraite « qui est nécessaire pour financer le maintien du niveau de vie des futurs retraités » en 2020, une grosse galette comprise « entre 40 milliards d’euros et 110 milliards d’euros, suivant les hypothèses de comportement des individus ». De plus, la société Sevriena, association entre la Caisse des Dépôts, CNP Assurances et le groupe Malakoff Médéric, « aura une action décisive dans la prise de conscience du marché et [constituera] une contribution majeure au financement des besoins de retraite des salariés, cadres et non cadres. En dix ans, elle s’imposera comme le leader des solutions d’épargne-retraite collective et individuelle avec une part de marché de plus de 17 % en retraite collective et 4 % en retraite individuelle ». Et voilà, 21 % pour le capitalisme financier, une belle arnaque !
Précisons que ce volet de la réforme satisfait la demande de la Fédération française des sociétés d’assurance et du Medef, dont Guillaume Sarkozy fut le vice-président.
La nouvelle loi des retraites va donc permettre la mise en place d’une procédure très incitative et quasi obligatoire de système par capitalisation. Ainsi la contre-révolution ultralibérale va continuer à avancer ses pions vers plus d’argent au profit et moins d’argent pour le peuple.

Ni A Proun ! Y en a assez !
Après avoir fait des cadeaux aux banques, cet État (gros tas) de merde continue à engraisser les riches en pleine crise économique. Et de plus, imposer aux actifs, salariés créateurs des richesses, de travailler jusqu’à presque 67 ans. La pilule devient de plus en plus dure à avaler, surtout lorsqu’elle se cumule avec pas mal de galères, de dévalorisation et d’insatisfactions.
Que fait un chien enragé à qui l’on a ôté de la gueule le seul os qui lui reste ?
Il mord et transmet sa rage.
La bataille des retraites, comme un drame médiatisé, qui évoque la mise à mort programmée de la protection sociale, ne se fera pas en manifestant sous la seule bannière du syndicalisme timoré qui va chercher, au bout du bout, à négocier avec les autorités étatique et patronale deux ou trois pauvres amendements. Elle se fera lorsque nous serons tous – toutes distinctions de classes sociales laborieuses confondues – enfin unis et solidaires autour des mêmes principes de réalité, du moins des mêmes aspirations de résistance acharnée à l’oppression économique, à l’hypocrisie politicienne et à l’autoritarisme étatique pour enfin favoriser la liberté, l’entraide et la justice sociale.
Et il y a fort à penser que les prochains gouvernements vont sous-estimer la colère qui va, un jour, se réveiller du tréfonds de la société, lorsqu’enfin le peuple ouvrira les yeux sur la puissance créative de ses propres capacités. Cela, même s’il nous faut patienter encore !
Mais dans l’attente, continuons le combat, car la résignation est un suicide au quotidien.



1. Sevriena est une nouvelle société d’assurance spécialisée dans la retraite par capitalisation, créée par Malakoff Médéric, dont le dirigeant est Guillaume Sarkozy. (NdR.)