De l’origine du sentiment d’égalité

mis en ligne le 2 décembre 2010
L’horizon d’égalité est le moteur des démocraties modernes. Mais pas uniquement des démocraties. Ce sentiment d’égalité structure aussi beaucoup d’autres sociétés humaines, et il est même présent chez les animaux, en particulier les sociétés de grands singes 1.
La question est de savoir d’où vient ce sentiment profond. À quel âge apparaît-il ? Une équipe de recherche suisse a donc été mesurer le sentiment d’aversion à l’inégalité chez 229 enfants de 3 à 8 ans 2. Les enfants ont participé à trois expériences où l’on demandait à chaque petit sujet de redistribuer des bonbons entre lui et un partenaire anonyme (différent à chaque fois).

Don, envie et partage
Dans la première expérience, il pouvait choisir entre prendre des bonbons seulement pour lui (1,0) ou donner à l’autre la même quantité de bonbons (1,1). Là, le souci d’égalité ne serait lié qu’à une forme élémentaire de « pro-socialité » : donner ne coûte rien puisque l’enfant se retrouve de toute façon avec la même quantité de bonbons.
Dans l’expérience « de l’envie », l’enfant a eu le choix entre donner plus à l’autre (1,2) et la solution égalitaire (1,1). Même s’il peut donner sans coût pour lui-même, le don mène à une situation d’inégalité… Cette fois l’égalité défavorise l’autre.
Mais ces deux choix n’ont pas d’effet sur le nombre de bonbons que le sujet recevra lui-même au final. On ne mesure donc pas l’intérêt égoïste du sujet. C’est ainsi qu’une troisième expérience (dite « de partage ») est effectuée. L’enfant a pu choisir entre une double dose pour lui (2,0) ou le partage égalitaire (1,1). Cette fois, le partage a un coût !

L’égalité se développe vers 7-8 ans
Les résultats sont intéressants. À l’âge de 3-4 ans, l’écrasante majorité des enfants se comportent de manière égoïste (8,7 % d’entre eux partagent leurs bonbons, contre 45 % à 7-8 ans). « Les enfants de 3 ans utilisent le langage de l’équité mais principalement à leur propre avantage, c’est-à-dire pour favoriser leur égoïsme », explique Ernst Fehr, coauteur de l’étude 3.
La surprise des chercheurs a été de constater que l’égalitarisme augmentait fortement avec l’âge. Les enfants de 7 à 8 ans préfèrent clairement distribuer les bonbons de manière à réduire les situations d’inégalité. Ainsi, 80 % des 7-8 ans préfèrent distribuer les bonbons de manière égalitaire plutôt que de donner plus à leur partenaire (contre 40 % chez les 3-4 ans). De même, 78 % des 7-8 ans préfèrent donner simplement à l’autre pour favoriser l’égalité (comportement prosocial). « Ce n’est pas simplement de la générosité, il s’agit bel et bien d’égalitarisme », explique le chercheur. Car cette réduction d’inégalité va dans les deux sens. « Si l’autre enfant a moins, je veux bien lui donner, mais je ne veux pas non plus qu’il ait plus que moi. »
Étrangement, remarquent les chercheurs, à chaque âge il y a 15 à 20 % d’enfants qui veulent toujours que l’autre ait moins. On sait par ailleurs que ces comportements « méchants » se retrouvent aussi typiquement chez 10 à 15 % des adultes. « Peut-être que les adultes “méchants” ont des enfants “méchants” », suggère le chercheur. Une évidence que l’équipe souhaiterait néanmoins chiffrer. On n’est jamais à l’abri d’une surprise.

Une influence de l’entourage ?
L’équipe a envoyé ensuite un questionnaire aux familles pour en savoir plus sur le contexte familial des enfants (frères et sœurs, ordre de naissance, capacité à ressentir l’empathie, etc.). Dans la lettre, ils ont glissé plus de timbres qu’il n’en fallait pour retourner le questionnaire. Certains parents ont renvoyé le questionnaire en remerciant pour les timbres. « Ce qui est intéressant, c’est que les enfants dont les parents ont remercié sont ceux qui ont eu les comportements les plus prosociaux »…





1. Christopher Boehm, Hierarchy in the Forest : The Evolution of Egalitarian Behavior, Cambridge, Harvard University Press, 1999.
2. Ernst Fehr et al., “Egalitarianism in young children”, Nature, n° 454, 2008, p. 1079-1083.
3. Entretien dans la revue Nature du 28 août 2008, n° 454, p. VIII.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Mekanophilos

le 10 septembre 2011
Salut,

C'est sûr, certains adultes sont restés bloqués à l'âge de "Par ici, la bonne soupe ! Je garde tout !". :-)

Sinon, j'ai écrit un truc qui décrit, pas à pas, comment l'égalité aboutit à transformer la société. C'est, d'après moi, une sorte de mimétisme + ou - forcé, qui rendrait les plus vieux, plus partageurs.

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