Révolutionnaires factices

mis en ligne le 10 février 2011
Thermidoriens, encore un effort, tel est le titre du nouveau livre de Louis Janover, qui détourne et même retourne vers de nouvelles cibles l’en-tête du pamphlet de Sade. Ce livre est un véritable « caviar ». Il est à consommer sans modération, tant cet opuscule de 81 pages a un contenu nourricier. Il ne se lit pas, il se dévore et l’on ne risque pas l’indigestion dans la mesure où le menu qui est proposé est à la portée de tous les goûts. Ce petit ouvrage est immense, car il met en lumière le rôle de toute une armée d’alguazils, de béjaunes, de marpauts et de ponisses qui se vendent au plus offrant des politiques et assurent « la renaissance d’une idéologie que l’on croyait tombée en poussière ». Ils se font tour à tour les duègnes de la droite comme de la gauche. Leurs discours accorts sont distillés pour dédouaner les responsabilités des hommes politiques ainsi que celles du patronat et des financiers afin de culpabiliser les travailleurs et la population qui en veulent toujours plus, qui ne sont que des êtres incultes et pas raisonnables du tout.
Ils ont tous un passé commun, ils ont tous courtisé un « isme » avant reconversion. Le fait de circuler de gauche à droite, de la gauche au gauchisme ou même à l’ultragauchisme, ces parcours obligés de la rétrocritique n’impliquent donc pour l’intelligentsia contestataire aucune perte de repère. Dès lors que l’édifice du socialisme caricatural s’est effondré comme un château de cartes truquées, les thermidoriens se sont reconvertis rapidement et sans état d’âme. Ils étaient tous spécialistes « ès ismes », en communisme, en castrisme, en trotskisme et en maoïsme. Ils sont passés tout naturellement du capitalisme d’État au capitalisme privé. Ils sont comme l’isthme, celui-là naturel, qui est une langue de terre resserrée entre deux mers ou deux golfes. Si l’isthme a son utilité – réunir deux terres –, eux, les spécialistes « ès ismes » ont joué un rôle néfaste et destructeur au sein du mouvement ouvrier. Je cite Louis Janover : « Le véritable acte de naissance du totalitarisme, le premier pas, ce ne fut rien d’autre que la destruction du mouvement ouvrier révolutionnaire et des idées qu’il défendait. Ce sont les intellectuels qui ont permis de justifier, au nom de l’objectif poursuivi, la marche de l’histoire, avec ses ratés et ses hécatombes programmées… Ces révolutionnaires sans révolution assurent aujourd’hui la refondation de notre histoire, où le matériau du politiquement critique est lu et placé dans une perspective changeante mais toujours orientée dans le même sens. » Tous ces dictames qui prétendent vouloir nous donner du baume au cœur et adoucir notre misère s’insinuent dans tous les milieux afin de noyauter, de contrôler et de parer à toutes les velléités de révolte. C’est ainsi qu’aux pages 40-41 de ce livre incisif, on peut lire : « Une fois finie la confrontation entre capitalisme d’État et capitalisme de marché, ils sont revenus dans le champ de gravité du système le plus puissant, un autre type de rivalité a repris ses droits, et leur présence dans les cercles d’influence, dans les revues et les médias, témoigne de ce recentrage. Ils se différencient et se concurrencent désormais en fonction de l’intrication des multiples champs de pouvoir, et leurs remontrances vont du soutien pur et simple au système de représentation en vigueur à une nouvelle forme de critique : la remise en état de marche d’un néostalinisme que les mots recouvrent au besoin d’un vernis libertaire. » Aujourd’hui, la nouvelle intelligentsia, qu’elle se dise de droite ou de gauche et plus encore à gauche de la gauche, est une sorte de factotum qui sert consciemment le capitalisme, et s’en sert au besoin. Très souvent ces « élites pédantes et infatuées », parce qu’elles ont flirté avec les « ismes » totalitaires, continuent par leurs sophismes ronflants à mener la révolte dans une impasse. Il s’agit pour eux, comme le dit Louis Janover, « de conserver le monde sur ses bases anciennes, et d’exhumer de ses recoins obscurs ou délaissés tout ce qui peut faire croire qu’il a changé ».