Condamnés à vivre dans le réel

mis en ligne le 26 mai 2011
Tirant tête hors du trou, qu’entends-je ? Cette semaine, la tentation fut surtout d’en entendre le moins possible, afin d’échapper aux tombereaux affligeants dégueulés de la bouche du personnel politique. L’un des leurs a maille à partir avec la justice ordinaire, pour des faits qui, eux, ne le sont pas ? Aussitôt ses collègues entonnent la chansonnette du pseudo saint principe de la présomption d’innocence – oublié, quotidiennement, dans tous les tribunaux de France. Ils s’émeuvent, à s’en étrangler, du sort réservé au bonhomme, et Henri-Lévy, philosophe escroc décolleté, brame goitre au vent qu’il « en veut au juge américain qui a fait semblant de penser que Dominique était un justiciable comme un autre ». M’est avis que ce Croquignol ne tardera pas à en chier un livre, griffonné comme d’accoutumée par son équipe de nègres. Plus tard, c’est Manuel Valls qui s’empourpre à la vue de son chéri menotté, « des images d’une cruauté insoutenable ». Le gars devrait se rendre, une fois dans sa vie, à l’entrée de n’importe quel tribunal de grande instance, il assisterait ainsi au lent, à l’interminable défilé des menottés du jour. Mais il est vrai que nous parlons, là, de « justiciables comme les autres ». Il paraît que même Aubry, Iron Woman solférinée, aurait versé sa larme : « C’est profondément humiliant et, personnellement, ça m’a vraiment bouleversé. » Humiliant, les menottes ? Quiconque a déjà porté les pinces sait bien que l’humiliation, c’est le but. Il est vrai que nous parlons, là, d’un humilié pas comme les autres. En résumé, le chœur des pleureuses non seulement nous font mal au bide, mais surtout révèlent une fois de plus leur sens absolu de la caste, de la solidarité de classe, auquel s’associe, chez eux, une méconnaissance tout aussi absolue du réel judiciaire, pénitentiaire, et de son infinie dureté. Selon Marie Drucker, présentatrice de JT, la prison dans laquelle fut incarcéré leur chouchou c’est « l’enfer sur Terre ». Il y aurait donc des prisons qui ne seraient pas cet enfer ? Le plus simple serait de poser la question à celles et ceux qui la fréquentent et la connaissent de long temps, à Jean-Marc Rouillan par exemple, qui, a contrario de Strauss-Kahn, n’y passa pas que quelques nuits. En résumé, on comprendra que le sort personnel de DSK nous importe très peu – et qu’on aurait, de loin, préféré le voir traîné devant un jury populaire en sa qualité de président de cette cochonceté de FMI –, que nous intéresse davantage ce qui se dit, ce qui se produit, ce qui se révèle, à l’occasion. Si Gérard Mordillat, écrivain, réalisateur et procureur fictif d’un procès Dsk – un livre qui devrait sortir en juin –, si Mordillat, donc, condamne l’accusé « à vivre dans le réel », c’est rien de dire que ses copains méritent la même peine.
Le réel ? Les prisons. En mai, record historique battu, avec 64 584 détenus. Un score jamais atteint de mémoire de maton. Réponse de Michel Mercier, garde des sceaux à pisse : « nous allons continuer de construire de nouvelles prisons », avec un objectif de 70 000 places à l’horizon 2018. Qui peut le plus, peut le plus encore… Le réel ? Continuons de surtout ne plus parler de Fukushima, dont l’un des réacteurs est partiellement fusionné, sans aucune certitude concernant la cuve, percée. Un sarcophage type Tchernobyl est en cours de construction, et l’exploitant Tepco lui-même, dont le directeur vient prudemment de démissionner – quel courage –, avoue que « le scénario du pire est peut-être en train de se produire ». Le pire, qui est toujours sûr, ne serait pas assez réel pour retenir notre attention ? Le réel, ce serait alors, davantage, être informé de la couleur du bracelet électronique bientôt fixé à la cheville de notre satyre national. Irréel.