Procès politique et police des mots

mis en ligne le 16 février 2012
1660HortefeuxDepuis le début de ce procès, il était évident que, sous couvert de diffamation, le ministère de l’Intérieur ne cherchait qu’à interdire aux militants solidaires des sans-papiers de pratiquer librement leur devoir d’alerte, lequel peut consister, entre autres, à établir des comparaisons historiques, fût-ce avec les périodes les plus noires de notre histoire.
Ce procès n’est rien d’autre qu’une tentative pour masquer un procès politique sous les apparences d’un délit de droit commun : une diffamation. Cette tentative a volé en éclats une première fois, à l’audience du 5 avril 2011 du tribunal correctionnel de Tours, sous l’effort conjugué des prévenus et des multiples témoignages qui, les uns après les autres, dans leur diversité, leur richesse et leur complémentarité ont tissé, heure après heure, une longue chaîne d’évidences : qu’ils émanent d’historien, de juriste, de psychanalyste, d’enseignant, d’étudiant, d’anthropologue, de militant, de « témoin de l’Histoire », tous les témoignages avaient concouru à dire l’insupportable, l’inacceptable, en un mot l’infamie du présent : l’infamie de la chasse à l’enfant, l’infamie de la chasse à l’étranger qui se déroule actuellement sous nos yeux et qui fait écho – pourquoi le nier – à d’autres chasses à l’homme si vivaces encore dans nos mémoires.
Pour la deuxième fois, le 30 janvier 2012, cette fois à la cour d’appel d’Orléans, cette extraordinaire démonstration a été faite, avec la même qualité d’analyse et la même force. Pour la deuxième fois donc, ce procès apparaît bien pour ce qu’il est : un procès politique !
D’autre part, une première fois, le 5 avril, le procureur de Tours avait admis une « nullité de procédure » : il ne pouvait plus maintenir la poursuite sur le premier chef d’inculpation relatif à la distribution du communiqué de presse… en raison des erreurs sur les faits et dates contenues dans sa citation à comparaître !
Il reconnaissait également aux prévenus d’être de bonne foi, et parmi les quatre critères de la « bonne foi » qu’un tribunal peut exiger d’eux, et qu’on pouvait leur accorder à coup sûr, les deux2 premiers, à savoir la poursuite de « l’intérêt légitime » et « l’absence d’animosité ».
Le 30 janvier 2012, le procureur général de la cour d’appel d’Orléans a posé lui aussi qu’il ne poursuivait plus désormais que sur la diffusion du communiqué sur internet. Il a dit également admettre la bonne foi des prévenus sur les deux critères cités précédemment. Il demandait en outre au tribunal d’appel de confirmer la relaxe de l’une des quatre prévenus.
Ainsi, petit à petit, le contenu des charges qui pèsent sur les militants diminue. Le procureur d’Orléans a même souligné qu’il requiert avant tout des « peines de principe », sans plus de précision, si ce n’est une invitation à confirmer les peines infligées par le tribunal de Tours.
Désormais le contenu politique du procès s’impose de plus en plus, rendant chaque fois plus difficile le maintien de la forme juridique – le délit de diffamation – dans laquelle on tente de le circonscrire.
La présidente de la cour d’appel a d’ailleurs posé d’entrée de jeu la nature politique de ce procès… pour mieux demander qu’on s’oblige à respecter le jeu juridique. Aussi plus personne n’est dupe.
Il est d’ailleurs d’autant plus intéressant de voir de plus près comment a été argumenté le motif de diffamation, cela permet de prendre la mesure des restrictions actuelles à la libre expression des citoyens : il est reproché aux prévenus de n’avoir pas fait d’enquête suffisamment précise et approfondie, sur le modèle des enquêtes des journalistes et selon les exigences qui sont habituellement posées à ces professionnels ! Un simple citoyen doit-il désormais être un professionnel de l’information pour pouvoir s’exprimer ?
On leur reproche également, bien que de bonne foi, d’avoir passé les clous (« d’avoir passé le droit ») du fait du caractère « outrancier » de leur propos à l’encontre de certains fonctionnaires préfectoraux : ils ont non seulement évoqué Vichy mais, pis encore, parlé de « nervis de Vichy ». On a appris alors qu’il avait été établi par certains jugements de la Cour de cassation que seuls les propos échangés par des « hommes politiques » pouvaient échapper à l’obligation de modération qu’on tente d’imposer à nos camarades ! À noter, au final, que c’est même essentiellement sur ce motif de propos immodérés qu’ils sont désormais incriminés ! Ainsi il y aurait à distinguer entre les « hommes politiques » reconnus comme tels, patentés en quelque sorte, et les militants et citoyens ordinaires qui, eux, tomberaient sous le coup de la loi, s’ils parlent politique librement et s’autorisent certaines comparaisons historiques !
Parler politique sans modération (!) devient donc le droit (l’affaire et le pré carré !) de quelques personnes seulement, les professionnels de la politique institutionnelle !
Et ainsi, pénaliser le fait de parler de Vichy, ce serait moins, pour le tribunal, une question de référence historique que le fait de souligner le caractère outrancier et outrageant du propos en question ! Juste une affaire de modération de langage en quelque sorte !
Belle démonstration de toutes les subtilités auxquelles peut conduire la volonté politique de transformer un propos politique en un « fait diffamatoire » et d’instituer – ce faisant – une véritable police des mots !
Belle démonstration surtout de ce que peut être un procès politique de nos jours lorsque se met en place la judiciarisation du politique et son corollaire : la pénalisation, la criminalisation des militants et potentiellement de tous les citoyens qui osent parler librement !
Oui, monsieur le procureur général, il s’agit bien de principe. Vous affirmez, pour nos camarades, la nécessité d’une « peine de principe » et vous ajoutez : « Les combats de principe, ce sont les plus beaux ! »
En effet, monsieur le procureur général, et le principe auquel nous tenons, nous, précisément, c’est qu’il ne saurait y avoir… aucune peine. Il en va de la liberté d’expression ! Prononcer une peine, fût-ce la plus légère, c’est encore pénaliser et c’est précisément ce que nous récusons depuis le début.
Ce n’est pas un tribunal qui doit dire quelles sont les références historiques que tout citoyen a le droit et parfois le devoir d’invoquer ! Quelles que soient les arguties avancées, ce tribunal sera comptable d’avoir pénalisé le fait de faire une certaine référence historique.
Ce n’est pas un tribunal qui doit définir ce qu’est un propos politique, ni qui a le droit de le tenir ! Nous demandons au tribunal de tenir son rôle qui est, ici, de garantir la liberté d’expression ! Il ne saurait y avoir pour nous d’autre verdict acceptable que la relaxe des « 4 de Tours » ! C’est le 26 mars 2012 à 14 heures à Orléans que la cour d’appel fera connaître sa décision.

Le Comité de soutien aux « 4 de Tours »



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


julien bézy

le 21 février 2012
Oui on a le droit d'invoquer les heures sombres de notre histoire.