Façon puzzle

mis en ligne le 24 janvier 2013
Les salauds, ça ose tout, c’est même à cela qu’on les reconnaît. Voilà comment, en parodiant la réplique célèbre du film Les Tontons flingueurs, on pourrait résumer l’accord scélérat signé le 11 janvier par le patronat et trois organisations « syndicales » (CFDT, CGC et CFTC) sur la sécurisation de l’emploi.
Observons tout d’abord l’ironie du titre car, en fait de sécurisation, les seuls totalement rassurés au terme de l’accord, ce sont les patrons.
Rappelons aussi le cadre qui présidait à la négociation : c’est Hollande lui-même qui avait fixé les règles du jeu dans la logique de sa politique dite « de compétitivité », c’est-à-dire pour parler clair, de baisse du coût du travail et d’exploitation renforcée. D’un côté, on file 60 milliards sur trois ans aux entreprises sous forme de crédits d’impôts, de l’autre on leur permet de licencier plus facilement et de limiter les recours juridiques des salariés. C’est gagnant gagnant… pour les patrons. Hollande avait fixé aussi le temps imparti pour discuter entre partenaires sociaux comme l’on dit et c’est ainsi qu’on est arrivé vendredi 11 janvier au soir à l’accord théâtralisé que le président a qualifié de « compromis historique ». Il faut noter au passage que les trois organisations signataires sont minoritaires si l’on se réfère aux résultats des dernières élections prud’homales (2008) ou à ceux des élections TPE (décembre 2012). Mais les nouvelles dispositions sur la représentativité prévoient que l’accord est valable s’il est signé par une majorité d’organisations syndicales, en l’occurrence 3 sur 5. Cela suffit donc pour que le gouvernement le valide et le transpose en loi très rapidement et « sans en changer une virgule », comme l’a recommandé Parisot, la tsarine du Medef qui en profité au passage pour renforcer son pouvoir au sein de l’organisation patronale.
La CGT et FO ont refusé de signer. Stéphane Lardy, membre du bureau confédéral de FO, a déclaré que c’était un jour sombre pour les salariés. N’étant pas connu dans l’organisation pour un radicalisme échevelé, on peut le croire sur parole.
Rentrons un peu dans le détail. Deux principes structurent ce texte : les « droits » individuels sont privilégiés par rapport aux droits collectifs dans une logique d’individualisation dont on voit bien l’objectif. Tout ce qui est perdu l’est quasiment immédiatement. Les miettes qui sont octroyées sont soumises le plus souvent à des décisions ou à discussions ultérieures. Cherchez l’erreur.
Renault ne s’y est d’ailleurs pas trompé puisque, moins d’une semaine après la signature, il anticipe la loi et annonce un plan de 7 500 suppressions de poste et conditionne la non-fermeture d’usines à l’acceptation par les salariés de l’augmentation du temps de travail et de la mobilité.
Le texte stipule en effet dans le cadre « du maintien dans l’emploi » (et non de l’emploi) qu’une entreprise pourra conclure un accord avec les syndicats locaux pour « ajuster le temps de travail et de rémunération » et qu’elle n’aura pas à passer par les quelques contraintes d’un plan social pour licencier les salariés qui refuseraient cet ajustement.
Il est prévu aussi une « facilitation des restructurations des entreprises » par une mobilité interne imposée. Insupportables effectivement ces salariés qui refusent de partir du jour au lendemain à 500 bornes de leur lieu de vie ! Ils pourront être virés sur la base du « motif personnel ».
Pour les licenciements individuels, les recours aux prud’hommes sont très sérieusement restreints dans le temps (2 ans au lieu de 5) et dans les sommes exigibles (l’équivalent de 14 mois de salaire pour 25 ans de boîte par exemple !).
Possibilité aussi pour les entreprises d’expérimenter le recours au CDI « intermittent » alternant période travaillée et chômée. Pour les entreprises dont la rentabilité est évidente mais qui souhaiterait tout de même fermer une usine pour augmenter le taux de profit, le texte dit « qu’il convient d’envisager la recherche d’un repreneur ». M’est avis que les salariés concernés feraient bien de faire un peu plus qu’envisager de donner les coups de pied au cul qui s’imposent à toutes ces sinistres fossoyeurs.
Côté miettes, le texte prévoit l’accès à une complémentaire santé dans toutes les entreprises à l’horizon… 2016. Quelques mots aussi sur les temps partiels qui ne devraient pas être inférieurs à 24 heures par semaine… sauf cas particuliers. Il est prévu enfin un compte personnel de formation « transférable » d’une entreprise à l’autre de 120 heures au maximum (après 6 années de taf).
Enfin, mais ce n’est pas à mettre au compte d’une quelconque avancée, bien au contraire, il est prévu de faire entrer dans les conseils d’administration des grands groupes (plus de 5 000 salariés) un ou deux salariés. Mais en aucun cas ils ne pourront être des délégués syndicaux ou des délégués du personnel. Bref, au mieux des faire-valoir, au pire des vendus remerciés au jeton de présence. Mais cette mesure qui se rattache à l’idée profondément réactionnaire de « l’association capital-travail » a au moins le mérite de caractériser les signataires, CFDT en tête : des héritiers des promoteurs de la charte du travail.
Plus que jamais, nos ennemis de classe sont identifiés : le patronat et son homme de main l’État, et la direction de la CFDT qui en l’espace de 10 ans (retraites en 2003 et 2010, code du travail en 2013) aura flingué un nombre considérable de droits sociaux.
À nous de faire vivre le syndicalisme de lutte de classe et de disperser tous ces nuisibles façon puzzle.