Les possibles d’une société sans argent

mis en ligne le 27 juin 2013
27 juin 2029, Nîmes, café Gambrinos. Ce soir-là, les flashs d’information diffusent en boucle une incroyable nouvelle, au Brésil, à Rio, le peuple lassé de l’hyperinflation qui gangrène l’économie de la planète, de la crise, de la rigueur qui ne frappe jamais les plus riches, brûle l’argent par brouettes entières. Par un effet de dominos, en quelques jours, le monde entier se consume dans un immense feu de joie, les billets, la monnaie, les chèques, le capitalisme. Le livre de Jean-François Aupetitgendre se lit comme la chronique forcément réjouissante de la crise ultime de la finance mondiale.
Maître Durieux, notaire, assiste, effaré, à la fin de son monde de privilèges. Durant plus de dix ans il va espérer le retour de l’Ancien Régime, c’est ainsi qu’il nomme les années d’avant la crise. Il habite l’immeuble de la Faisanderie avec quelques personnages croustillants qui vont du mafieux à l’institutrice. Une sorte d’auberge espagnole où l’on disserte interminablement du nouvel état du monde, et le tour de force de ce livre, c’est de nous montrer combien la disparition brutale du système monétaire, l’avènement de la société du don bouleversent nos vies jusqu’aux plus intimes détails.
Jean-François Aupetitgendre n’épargne aucun de nous, chacun participe à sa façon au maintien d’un système injuste et inhumain, chacun est recroquevillé sur ses minuscules possessions, voiture, meubles, maison, compte en banque et n’entend rien partager. Il explique parfaitement, mais toujours avec humour, que la classe moyenne, en voulant conserver le peu qu’elle possède, est le rempart qui protège les riches et les puissants de la colère des pauvres. Il y a du La Boétie dans ce livre, à l’instar du Discours sur la servitude volontaire, Le Porte-Monnaie nous rappelle que l’habitude nous rend complice du système et que la formule « Soyez résolus de ne servir plus, et vous voilà libres » est la seule voie qui permet d’aborder une société du don basée sur le droit d’usage plutôt que la propriété privée, une société respectueuse des hommes et de l’environnement, où les voiliers de plaisance effectuent du transport maritime, où les voitures au gaz sont collectives où l’état disparaît au profit du bénévolat et de la gratuité généralisée. Un monde où le temps gagné sur le temps de travail permet à nouveau au facteur de discuter, de prendre un café et de tisser du lien social comme on dit. Un monde devenu, il est vrai, une pure fiction.
Au-delà du récit endiablé de cette révolution, 42 notes en bas de page, très amusantes, viennent expliquer au lecteur de 2040 des concepts, des idées, des métiers, des objets tombés depuis longtemps en désuétude, des mots comme : budget, amende, énarque, parcmètre, trader…
Jean-François Aupetitgendre qui nous avait déjà fait le coup avec La Commune libre de Saint-Martin, paru en 2012 aux Éditions libertaires, s’est sans aucun doute beaucoup amusé en écrivant ce livre, mais Le Porte-Monnaie va bien au-delà d’un bon moment de lecture, il nous plonge dans la politique-fiction dans ce qu’elle a de meilleur, il nous oblige à nous imaginer dans un univers absolument différent, une organisation à l’opposée de celle que nous expérimentons tous les jours dans la douleur et la colère pour, au final, nous poser une seule question : pourquoi pas ?



Thierry Guilabert