Faire vivre l’idéal libertaire. Éditions libertaires : pourquoi, comment ?

mis en ligne le 12 septembre 2013
1714EditionsLibertairesThierry : Les Éditions libertaires, ça existe depuis quand ?

Jean-Marc : Depuis dix ans, véritablement.

T. : Il y avait, donc, des prémisses ?

J.-M. : C’est évident. Il y a une vingtaine d’années, une bonne part de notre équipe actuelle était en charge des éditions du Monde libertaire (les éditions de la Fédération anarchiste). À un moment, nous avons passé, comme il se doit, le relais à d’autres camarades. Mais nous avions pris goût à l’édition. D’où l’idée de mettre sur pied une structure éditoriale libertaire autonome et amie de la Fédération anarchiste, dont nous sommes tous membres.

T. : Les Éditions libertaires, c’est qui ?

J.-M. : Une demi-douzaine de personnes. Dominique Lestrat, que l’on ne présente plus. Franck Thiriot, qui anime le Club du livre libertaire. Coach Wally Rosell, le chef d’orchestre de nos deux livres d’art sur les affiches de la révolution espagnole, du livre d’art sur les autocollants (La Lutte des signes), et l’âme du célèbre Éloge de la passe. Paco, toi et quelques autres, qui chroniquent nos livres ici et là. Bruno, qui gère le site. Solange, qui assume la lourde tâche des corrections et mises en page. Moi-même, dans une fonction de coordination et de gestion. Ça c’est le noyau dur. Le premier cercle. Mais ce noyau dur ne serait rien sans le deuxième cercle. La coopérative ouvrière de production de Toulouse qui imprime la plupart de nos livres sur d’autres bases que de strictes relations commerciales. Cédric, qui nous graphe magnifiquement la plupart de nos couvertures. Un grand nombre de nos auteurs, qui font plus que s’impliquer dans la promotion de nos livres…

T. : À ce propos, qu’en est-il des droits d’auteur aux Éditions libertaires ?

J.-M. : Notre projet étant militant, partie prenante d’un processus de révolution sociale libertaire, nous bossons tous gratos. Sauf l’imprimeur et le graphiste, qui nous font néanmoins, merci à eux, des prix plus que d’amis. Il s’agit là d’une logique révolutionnaire globale d’entraide. Certains de nos livres se vendent bien. Merci, à ce propos, à l’ami Benoist Rey. Les bénéfices issus de ces bonnes ventes servent à financer la publication de livres dignes d’intérêt dont nous savons que nous n’en vendrons que très peu. Pour faire court, nous ne sommes pas des éditeurs (au sens classique du terme). Juste des militants publiant des livres participant à cette démarche militante.

T. : Dans le même ordre d’idée, pourquoi ne faites-vous pas imprimer vos livres en Chine et pourquoi refusez-vous toute subvention de quelque ordre qu’elle soit et tout contrat aidé ?

J.-M. : Nous avons eu maintes propositions pour faire imprimer nos livres en Chine, en Slovénie, en Corée du Nord… À moitié prix de ce que ça nous coûte actuellement. En France, même de grosses boîtes capitalistes nous font également des propositions surréalistes. Et alors ? Quel sens aurait notre projet et notre militance si nous nous acoquinions avec ces esclavagistes ? La liberté n’a-t-elle pas un prix, et, donc, un coût ? Alors, oui, nous avons fait le choix d’imprimer plus cher, en France, chez des camarades. Une coopérative ouvrière de production qui pratique l’égalité des salaires et qui n’a jamais compté son aide à maints groupes militants. Et c’est du même tonneau pour ce qu’il en est de notre refus de toute subvention et de tout contrat aidé. Accepter des subventions, c’est accepter d’être dépendants de ceux qui te les octroient. Accepter des contrats de travail aidés, c’est du même ordre avec, cerise sur le gâteau, cautionner une surenchère dans l’exploitation salariale. Au bout du compte, mais on l’aura aisément compris, nous ne sommes pas dans une logique entreprenariale de profit et de croissance. Nous voulons rester ce que nous sommes. De libres égaux. Des petits artisans de l’édition sortant, quand même, quinze titres par an. Dans la camaraderie et le plaisir. Toutes choses qui n’ont pas de prix !

T. : Depuis une dizaine d’années, on voit fleurir pléthore de structures éditoriales libertaires ou proches. Pourquoi ?

J.-M. : Deux explications à cela. Tout d’abord, après la faillite de l’escroquerie marxiste-léniniste, le capitalisme fou et ses idiots utiles de la social-démocratie sont en train d’imploser en vol. À tous les niveaux. Politique, économique, social, écologique… Alors, de même que quand on a un cancer en phase terminale, on va quand même voir le sorcier, de même de plus en plus de gens s’intéressent au dernier projet sociétal n’ayant pas trop de gamelles au cul. Et puis, l’évolution technologique au niveau de l’imprimerie est telle qu’aujourd’hui il est aisé (financièrement parlant) d’imprimer des livres. Mais à petits tirages.

T. : Quels sont vos rapports avec ces structures éditoriales libertaires ou apparentées ?

J.-M. : Nous avons tout fait pour en avoir, mais nous n’en avons pas, et nous le déplorons. À nos débuts, à la fin de nos livres, nous consacrions une dizaine de pages à des libertaires éditent. Nous citions tous ces camarades avec leur adresse, leurs derniers titres… Nous espérions enclencher une dynamique. Mon cul ! De même, quand nous avons lancé le Club du livre libertaire (une cinquantaine d’éditeurs affiliés), tous nous ont proposé leurs livres à la vente, mais aucun ne s’est investi dans ce projet. Ça me rend malade, car, tous ensemble, nous sortons une bonne centaine de titres par an. Et, donc, un tantinet unis, tout en gardant nos autonomies respectives, nous pourrions être les nouveaux Maspero de l’édition. Au lieu de cela, nous ne sommes qu’une bande de petites églises et de petits commerçants se faisant, bêtement, de la concurrence. C’est ainsi que certains journaux libertaires vont chroniquer d’abondance des livres de Gallimard (qui n’en a rien à cirer) et boycotter nos livres.

T. : Quelle est votre stratégie éditoriale ?

J.-M. : Nous pensons que la révolution sociale est un processus global concernant tous les aspects de la vie en société. Nous avons donc une quinzaine de collections incluant tous les genres. Anarchisme, société, roman, théâtre, BD, livres d’art, SF, anticléricalisme… J’ajoute que nous n’avons nullement l’esprit de chapelle, tous les auteurs sont loin d’être à la Fédération anarchiste ou même anarchiste, mais cela n’empêche pas le compagnonnage, la rencontre sur des valeurs partagées loin de tout sectarisme. C’est là la vraie richesse des Éditions libertaires.

T. : À l’heure de la crise en général et de la crise du livre et de la librairie, comment ça va la vie pour vous ?

J.-M. : Au niveau de nos ventes commerciales, nous avons plongé de 40 %. Mais, grâce à nos ventes militantes et nos ventes directes (via notre site), nous restons calés sur une production de quinze titres par an.

T. : Comment voyez-vous votre avenir ?

J.-M. : Dans tous les cas de figure, nous sommes indestructibles. Car nous ne dépendons de personne. Mais notre objectif n’est pas de survivre. Il est, à notre échelle, de faire vivre l’idéal libertaire. Et, de ce point de vue, il nous faut construire une unité éditoriale libertaire. Je rêve d’un logo commun avec des collections particulières animées, en toute autonomie, par toutes les structures éditoriales libertaires existantes. Chez les libraires, comme chez les militants, ça aurait une autre gueule qu’une quinzaine de structures arc-boutées sur un indépendantisme clochemerlesque et rabougri. Je rêve aussi d’un mouvement libertaire uni tout en gardant ses autonomies. Et uni, avec d’autres. Pas libertaires. Mais proches de nous. Nous ne sommes pas un sur cent. Or, sauf à se réclamer d’une dictature, il faut que nous soyons majoritaires dans le peuple. Et, pour cela, nous, les libertaires, devons montrer l’exemple de l’unité, du pluralisme et de l’ouverture.

T. : Vos prochaines publications ?

J.-M. : Huit ou neuf bouquins entre septembre et décembre 2013. Dont un formidable livre de photos, intitulé Présences, managé par notre camarade Solange, initiant une collection Femmes. Et un super bouquin d’enfer, Caracremada, vie et légendes du dernier guérillero catalan, d’un certain…

T. : Un message ?

J.-M. : Deux. Les seules choses impossibles sont celles qu’on ne désire pas vraiment ! Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, mais parce que nous n’osons pas, qu’elles le sont.

T. : Et toi, dans tout ça ?

J.-M. : Embrasse fort les camarades et les tiens.