Aino Koski est une jeune paysanne finlandaise initiée secrètement au marxisme par son instituteur, en cette extrême fin du XIXe siècle. À cette époque, la Finlande est occupée par la Russie et celles et ceux qui secouent leur joug sont impitoyablement arrêtés, torturés, déportés et nombreux sont les Finlandais à s’enfuir à l’étranger. Notamment vers les jeunes USA et plus particulièrement dans le Nord-Ouest et les États de l’Oregon ou de Washington, dont le climat et les forêts leur rappellent leur vieux pays et leur permettent d’y travailler comme bûcherons ou pêcheurs.

L’engagement syndical d’une jeune immigrée finlandaise
Aino, persécutée pour son engagement communiste après un attentat raté, suit le chemin de l’exil, retrouvant son frère aîné Ilmari, qui avait évité la conscription dans l’armée russe et Matti, son cadet, trop sanguin pour supporter l’oppression. L’un est fermier, l’autre bûcheron. Dans les bois aux arbres si gigantesques que leurs premières branches pointent à 40 mètres du sol, elle tente de survivre en vendant sa force de travail, cuisinant pour les abatteurs et les scieurs de long qui risquent leur vie à chaque instant à cause de cadences infernales et de l’absence totale de dispositifs de sécurité. Les accidents sont fréquents et extrêmement graves. La bouillonnante communiste s’investit vite auprès de ses camarades de l’IWW, le nouveau syndicat des Industrial Workers of the World et se fait alors un réseau de relations parmi ces Wobblies. Découvrant le principe d’action directe, son engagement évolue vers le syndicalisme révolutionnaire et elle va mener une série de luttes pour les droits de ces damnés de la forêt, qui s’échinent de l’aube au crépuscule, pour une paie de misère et des conditions de vie affreuses. Baraquements améliorés, augmentation des salaires, journée de huit heures… Telles sont les revendications. Dans la terre de la liberté — d’exploiter — et la demeure des braves – capitalistes pompe-la-sueur – cela va lui apporter de sérieux problèmes. Aino va ainsi vivre, jusque dans sa chair, toutes les mesures répressives dégueulasses prises par le patronat, main dans la main avec l’État, l’armée, la presse, les milices de l’ordre et la pègre, pour casser le mouvement syndical américain, notamment durant les grèves de la 1re Guerre mondiale.

Entre l’histoire, le mythe et l’épopée familiale
Relecture épique et familiale du Kalevala finlandais sur plus de 1130 pages (en version poche), Faire bientôt éclater la terre nous narre la destinée d’Aino, de ses proches, son engagement, ses amours, ses heurs et malheurs, dans cette terre encore sauvage — mais pour peu de temps, alors que les USA s’industrialisent à toute vitesse. Avec elle, nous faisons connaissance avec les IWW, leurs luttes et la dure adversité qu’ils affrontent, la mise en place du sabotage cher à Émile Pouget, les différentes communautés d’émigrés, mais aussi les socialistes tièdes et mous qui espèrent déjà changer le monde petit à petit par la législation et les compromis(sions). Nous découvrons les alternatives qu’offrent les premières coopératives américaines. Nous croisons brièvement Joe Hill, révolutionnaire, syndicaliste et chanteur compositeur, engagé dans la révolution mexicaine et dont le destin inspirera Bob Dylan dans sa démarche artistique.

Toujours la même pudeur…
Il est cependant dommage que les seules mentions des anarchistes, à quelques reprises dans ce beau pavé, soient accolées au champ lexical de la folie et des forcenés commettant des attentats. Certes, à la même époque les anarchistes galléanistes ne lésinaient pas sur la dynamite (dans des opérations qui n’étaient pas l’œuvre de déséquilibrés, mais bel et bien d’anarchistes adeptes de l’autonomie et de l’action directe – je ne peux que vous renvoyer à l’excellent Paroles claires, narrant la « bonne guerre » des anarchistes italiens immigrés aux États-Unis (1914-1920) publié chez Anar’Chronique et déjà chroniqué dans Le Monde libertaire), mais les libertaires étaient aussi bien présents dans les rangs des wobblies. Un petit angle mort, donc, comme souvent vis-à-vis des tenants du drapeau noir, mais qui ne doit pas empêcher de se plonger dans cette saga passionnante, documentée, vivante et inspirée, autant de l’histoire que du folklore et de l’épopée des ancêtres de l’auteur, Karl Marlantes, issu de la diaspora finlandaise.

Karl Marlantes
Faire bientôt éclater la terre (Deep River), traduit par Suzy Borello,
Le Livre de poche, 37 472, 1140 pages, 12,90 €

Julien Caldironi, individuel FA 49