Anarchie dans le monde > La disparition de l’anarchiste uruguayen Juan Carlos Mechoso
Anarchie dans le monde
par Daniel Pinós le 17 octobre 2022

La disparition de l’anarchiste uruguayen Juan Carlos Mechoso

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C’est avec une profonde tristesse que je viens d’apprendre le décès, le 10 octobre dernier, de notre compagnon uruguayen Juan Carlos Mechoso. J’avais rencontré Juan Carlos et sa compagne Mari, dans leur petite maison du quartier populaire d’El Cerro à Montevideo, lors d’un voyage dans le cône sud de l’Amérique en 2016.

Juan Carlos Mechoso était le dernier militant vivant du groupe qui fonda la Fédération anarchiste uruguayenne (FAU). Il a vécu toute sa vie aux côtés de sa femme Mari dans le quartier populaire d’El Cerro, à Montevideo. Leur maison, durant de nombreuses années, a servi de lieu de rencontre pour les anarchistes du monde entier.
Ils ont passé les deux dernières décennies de leur vie à organiser les documents historiques de la FAU, certains écrits en langage codé, se trouvaient dans une archive personnelle. Les militants-chercheurs pouvaient accéder au contenu lié à la révolte ouvrière uruguayenne des années 1960 et 1970. Une partie de ce travail consistait à rassembler ces documents cachés durant la dictature dans des refuges à travers Montevideo et à les préserver dans des archives accessibles au public.

Juan Carlos Mechoso et d’autres compagnons fondèrent la FAU en 1956. Trouvant son origine en partie dans l’immigration italienne et espagnole en Uruguay, qui avait participé, dès 1905, à la création de la Fédération ouvrière régionale uruguayenne (FORU), la FAU était composée de nombreux militants anarchistes de la guerre d’Espagne. Elle participa dès sa création aux luttes sociales en appuyant le renforcement des syndicats.
Au début des années 1960, la FAU participa à la structure du « Coordinateur » (El Coordinator), ancêtre de l’organisation armée Tupamaros. Dissoute en 1967 par le gouvernement de Pacheco Areco, la FAU dut entrer dans la clandestinité jusqu’à 1971.
La Fédération anarchiste uruguayenne a entrepris de développer une stratégie et une pratique d’organisation anarchiste dans le contexte de la guerre froide en Amérique latine. Elle a développé un modèle de lutte parallèle à l’intervention alors dominante de l’anarcho-syndicalisme, qui joua un rôle fondamental dans les premiers syndicats uruguayens du vingtième siècle.
À la fin des années 1960, une coalition appelée la Nouvelle gauche et centrée sur la FAU contrôlait environ un tiers des syndicats du pays. De 1968 à 1973, les travailleurs uruguayens ont mené plus de deux mille actions, dont la majorité était des grèves et des occupations sauvages dirigées par la coalition encadrée par la FAU. La coalition a soutenu les tactiques d’action directe dans le mouvement ouvrier. Ces actions se développèrent jusqu’au coup d’État militaire de juin 1973.
En 1968, tentant de s’adapter à la situation d’illégalité et de répression, la FAU décida d’organiser un front de masse baptisé Résistance ouvrière étudiante (Resistencia Obrero Estudiantil, ROE). La ROE organisa ainsi un large front composé de militants de quartier, de syndicalistes ouvriers et d’étudiants combatifs.
L’état d’urgence et la militarisation de la vie politique conduisirent la FAU à développer en 1971 une structure armée : l’OPR-33 (Organización Popular Revolucionaria-33 Orientales), en publiant un hebdomadaire clandestin, et en créant un réseau d’infrastructures pour préparer ses actions et protéger ses militants. L’OPR-33 effectua plusieurs actions directes, telles que des sabotages, des « expropriations », des enlèvements de dirigeants politiques ou patronaux, l’appui armé à des grèves, des occupations d’usines...
Juan Carlos travaillait comme graphiste à cette époque. Il finit par entrer dans la clandestinité en faisant partie du groupe armée de la FAU, l’OPR-33, (un groupe) qui dévalisait les banques et kidnappait les employeurs trop brutaux afin de régler les conflits du travail. Il s’est constitué prisonnier en 1971 et resta emprisonné durant quatorze années, il survécut à de fréquentes séances de torture sous les ordres de l’armée et de la police. À cette époque, en Uruguay, 1 personne sur 30 a connu la détention et 1 personne sur 62 la torture.
Pendant son emprisonnement, Juan Carlos a perdu son frère et compagnon de la FAU, Alberto “Pocho” Mechoso, qui disparut dans le cadre d’une opération de terreur d’État transnationale soutenue par les États-Unis, appelée le Plan Condor.
La FAU a vu 35 militants de son organisation disparaître pendant cette période. Juan Carlos a été libéré après la chute du gouvernement militaire de l’Uruguay en 1985. Il est retourné chez lui à El Cerro et a participé à la reconstruction de la FAU pour affronter l’ère néolibérale de la post-dictature.

Celui que les copains appelaient el viejo Mechoso (le vieux Mechoso) était un intellectuel organique. N’ayant qu’une éducation secondaire, il a consacré sa vie à comprendre la théorie politique de gauche et à développer de nouveaux modèles pour sa mise en œuvre pratique moderne dans une perspective anarchiste. Il était également influencé par la psychanalyse et la théorie post-moderne.
Lors de notre visite, nous étions accompagnés de José Mari Olaizola, un militant anarchiste espagnol expérimenté, nous avons eu des heures de conversation autour des idées de théoriciens allant de Bakounine à Foucault. Il parlait de ce dernier avec passion tant il l’avait fortement influencé lors de ses lectures.

Tout le monde le connaissait dans le quartier d’El Cerro, un bastion historique du mouvement ouvrier devenu aujourd’hui une banlieue en proie au chômage, à la violence et aux trafics en tout genre. L’enracinement de Juan Carlos Mechoso était le produit de son engagement politique, dans lequel il se savait être du peuple et avec le peuple.
Son exemple de lutte et de vie entièrement engagée et dédiée au socialisme et à la liberté, nous accompagnera à jamais.

Hasta siempre querido compañero Juan Carlos.

Daniel Pinós


PAR : Daniel Pinós
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