Nous n’avons rien

mis en ligne le 24 décembre 2009
Nous n’avons rien
que nos mains prolétaires
et leurs rudes caresses
les poings serrés sur nos colères

Nos vies effilochées
nos amours ravaudées
nos soucis nos sueurs
et le travail en miettes

Les hauts fourneaux éteints
où sommeillent nos haines
les forges en sursis
l’acier de nos nuits laborieuses
la fonte de nos peines

Les reins rompus
les poumons encrassés
et le vacarme
de nos passions incarcérées

L’espace
le temps volés

Nous n’avons rien
que la mémoire de nos pères
leurs torrents indomptés
et leurs grèves sauvages
les ateliers brusquement désertés immobiles
les machines décontenancées par le silence soudain
et la rumeur qui enfle

Les rues médusées en désordre
bouillonnantes
comme un creuset trop rare
quand les idées fermentent
quand le rêve prend chair
et rejoint la matière l’usine le chantier
la carrière

L’espace
le temps réappropriés

Nous n’avons rien
que nos mains et nos mots
notre raison
nos imaginations fécondes

Nos cortèges solidaires
où germent des mondes inouïs
inconcevables
nos jardins ouvriers
nos espoirs en jachère

Nous n’avons rien
que nos mains et nos larmes

Les armes
forgées de nos désirs ébréchés
de nos chagrins flétris
de nos douleurs camarades
nos livres insoumis
nos révoltes logiques

L’espace
le temps
enfin
à la mesure de nos ivresses

Nous n’avons rien
que nos mains.


Bernard Lareynie