Le Festival de Berlin

mis en ligne le 21 mars 2002

Un chantier du contre-pouvoir ?

On se souvient : en pleine chasse aux sorcières, la RFA construisit une prison de haute sécurité, une prison modèle : Stammheim, près de Stuttgart. Malgré la surveillance permanente, les cellules d'isolement et la lumière allumée nuit et jour, les prisonniers politiques se suicideront ou seront assassinés. Ulrike Meinhof sera trouvée pendue dans sa cellule, Baader, le gaucher, se serait tiré une balle dans la tête de la main droite. Comment une corde, un revolver pouvaient-ils entrer dans la prison la mieux gardée du monde ? En France, on pense toujours que le noyau dur de la RAF a été assassiné. Jusqu'à aujourd'hui, nous ne connaissons pas la vérité sur ces événements. À défaut de disposer de témoignages irréfutables, Reinhard Hauff adoptait dans son film Stammheim, Ours d'or en 1986, la version officielle, celle du suicide. Son film retraçait des grandes parties du procès Baader-Meinhof qui rappelait leur lutte pour en finir avec la guerre du Vietnam, pour dénoncer la politique américaine d'agression impérialiste. Son film révélait leur isolement, leurs luttes intestines, la complexité de leurs relations et le charisme de leur leader.

Le cinéma de Christopher Roth n'en a rien à faire. Son Baader se fait tuer en bandit et en voleur de voiture : il se fait trouer comme Bonnie et Clyde au moment de leur arrestation. Ce qui est une contre-vérité, une falsification historique. C'est un film de fiction, dit le réalisateur. « Ils parlaient et ils agissaient de cette façon » dit Cohn-Bendit, que cette fin ne choque pas, dans un entretien à la Tageszeitung. En effet, ce n'est pas le plus choquant : le film est parsemé de documents authentiques, les avis de recherche etc. Mais quand la télévision allemande de cette époque transmet les appels et montre les photos des membres de la RAF, nous voyons l'acteur qui joue Baader sur le petit écran et non pas le Baader réel. Le film choque parce qu'il manipule des documents authentiques.

Le jeune réalisateur cherche à profiter de l'impact des actualités de l'époque, de la force des images, dont le souvenir est inscrit dans notre mémoire, la mort de l'étudiant Benno Ohnesorg, l'assassinat de Rudi Dutschke, les manifestations massives réprimées etc. Soit, mais Christopher Roth manque cruellement de regard critique et éthique. Insérer l'effigie de ses acteurs dans les documents d'époque, c'est dépouiller ces morts de la seule chose qui leur reste, leur identité de rebelles. Ce n'est pas comme dans Zelig, comédie de Woody Allen, où Zelig s'introduit dans les images anciennes et figure ainsi à côté des dictateurs sur les tribunes et estrades. En revanche, la rencontre fictive entre le chef de toutes les polices de la RFA et le chef de la RAF aurait pu être exploitée plus largement. Les sentiments mitigés faits d'attraction et de répulsion ouvraient une piste fictionnelle féconde que le film n'ose pas exploiter. À la mort de Baader, le chef de la police se penche sur lui. Son visage exprime de la douleur : n'a-t-il pas perdu une sorte de fils, un gars qui aurait pu être un excellent policier inventif, cruel et dur comme l'acier de Krupp ? Le jeune réalisateur montre un Baader chauvin, mâle, au langage ordurier. Quand ce Baader mégalomane et antipathique parle aux filles, il les appelle « connasses » ou les traite de « chiennes en chaleur ». De toute façon, il traite tout le monde avec mépris. Il n'admet aucune discussion ou contestation, il décide seul en chef.

Que ces événements riches en péripéties et en retombées politiques - une partie des membres de la RAF trouvait refuge en RDA sous une fausse identité etc. - ne produisent aujourd'hui qu'un couac de haine, donne à réfléchir.