L’État, ce grand désobéisseur. Un résistant en refus de justice

mis en ligne le 11 février 2010
Le 21 décembre 2009, le tribunal administratif de Marseille suspendait la sanction de mutation exécutée par l’inspecteur d’académie des Bouches-du-Rhône, suite aux votes de la commission disciplinaire du 17 septembre présidée par ledit inspecteur. Injonction était donc faite au ministre de replacer Erwan Redon dans sa précédente école.
Après avoir reçu tardivement cet avis, qu’allait faire le ministère ? Accepter la décision ou payer consciemment des amendes qui allaient sans nul doute lui être infligées, pour non-exécution des d­écisions de justice ? Mais qui permettraient d’obliger le plaignant à relancer un appel, une plainte… donc à engager de nouveaux frais, un nouveau stress ? La lutte est dure pour le petit enseignant de rien du tout lorsqu’il se trouve face au mastodonte despotique, faisant fi des lois.
Par chance pour nous, il se trouve que le bonhomme Redon a choisi de médiatiser son histoire. Un moyen de défense, de solidarité et d’attaque… Imaginer un instant que l’État passe au-dessus des lois. Nous n’aurions certainement pas manqué de railler ce bellâtre de ministre quant à sa désobéissance alors caractérisée. Dans un mouvement de contestation montant, en pleine évaluation nationale, alors que son inspecteur d’académie et les membres de la commission (syndicats et administration) ont été désignés hors la loi, cela aurait été du plus mauvais effet…, sans parler des élections régionales à venir.
Le ministre s’exécuta donc, non sans avoir rappelé à sa manière, à l’enseignant qui le savait déjà : « Monsieur Redon, vous n’êtes pas grand-chose et je vous le fais savoir en vous annonçant votre changement d’école un vendredi soir pour le lundi suivant. »
Pourtant la décision a été indiquée une semaine avant sur le papier. Dans sa perfidie, l’homme de pouvoir alla plus loin, laissant croire à sa grande bonté en annulant la sanction du 17 septembre, annulant ainsi la suite du jugement sur le fond au tribunal administratif.
Mais revenons dix ans en arrière. Un petit bonhomme, Alain Roche, conseiller pédagogique de son état, a l’outrecuidance de s’exprimer en privé, par mail, et de dire ce qu’il pense des procédés de recrutement de l’inspection académique de l’Isère. Un enseignant plus collaborateur que les autres, ayant soif de pouvoir, glisse le message de main en main jusqu’à l’inspecteur d’académie, non sans que quelques falsifications se soient jointes au document.
Fin 2000, le grand homme, effrayé devant tant d’affront, décida sur le champ la mutation d’office et le retour du petit homme comme enseignant, sans commission disciplinaire. Le tribunal administratif annule la décision de l’inspecteur d’académie en 2004. Pas pressée d’appliquer la décision de justice, une nouvelle commission disciplinaire est lancée. Déplacement d’office et mise sous surveillance dans son nouvel établissement. Février 2005, accusé de propos racistes et xénophobes, la hiérarchie suspend Alain à titre conservatoire et lance un conseil de discipline rapidement en avril sans attendre le résultat de l’enquête lancée par le procureur. La sanction de six mois fermes d’exclusion avec interdiction de travailler est d’autant plus dure qu’en octobre, le procureur classe l’affaire sans suite…
Soutenu par ses collègues et par de nombreux parents, il ne reste cependant à Alain qu’une lutte quasi solitaire en justice. Réintégré après six mois d’exclusion, la pression continue puisque l’inspecteur d’académie lui trouve des postes difficiles et complexes à gérer dans un quotidien familial. Alors que le conseil supérieur de la Fonction publique réclamait la clémence en septembre 2006, les faits reprochés ne justifiant aucune sanction, mais un simple avertissement, le ministère méprise cet avis et poursuit son travail de démolition. En 2008-2009, usé et découragé, toujours étroitement surveillé et informé officiellement de cette surveillance étroite, Alain ne résiste pas à la pression. Le harcèlement a porté ses fruits, il tombe malade et il est placé par la force des choses en congé longue durée. Finalement, il faut attendre avril 2009 et la décision du tribunal administratif de Grenoble qui annule les deux sanctions de déplacement d’office et d’exclusion de six mois, une indemnité de compensation des pertes de salaires étant « en toute logique » à reverser à l’intéressé.
Au pays de Disney « tout est bien qui finit bien », mais la devise ne s’applique pas dans le pays des droits de l’homme…
Dans ce pays dit « des droits de l’homme », appréciez et jugez l’État et ses aspirations démocratiques. Voilà deux décisions de justice (TA 2004, TA avril 2009) demandant par deux fois l’annulation d’un déplacement d’office et l’annulation de dix-huit mois d’exclusion sans traitement dont six fermes. Injonction faite au ministre Darcos.
Caramba, encore raté ! C’était sans compter sur la prégnance du régent.
Le 27 août 2009, il est stipulé à Alain Roche que les décisions ne seraient pas appliquées.
« Désolé mon cher Monsieur, mais voila vos six mois de salaire ne seront pas a priori reversés sous forme d’indemnité, si indemnité il peut éventuellement y avoir – comprenez-le elle dépend aussi de votre attitude. Et puis ne rêvez pas, cher Monsieur Roche, oubliez votre retour sur votre poste de conseiller pédagogique avant sanction, de toute façon il n’est plus disponible et puis qui vous dit que vous présentez encore nécessairement les compétences requises. Il faudra voir cela avec une commission d’évaluation ! »
Mais le régent ne s’arrête pas là… Le harcèlement se poursuit par une divulgation de certificats médicaux confidentiels d’Alain Roche à travers la consultation « open » de certains éléments de son dossier médical !
Sans oublier au passage la menace directe de le mettre à la retraite d’office, pour raison médicale. Fermez le ban.
Erwan Redon, décembre 2009, Alain Roche octobre 2004 et avril 2009. Trois décisions de justice qui donnent raison à ces deux enseignants, ces tout petits enseignants de rien du tout, l’un ayant préféré rester en dehors des effets médiatiques nullement nécessaires en démocratie pour faire valoir ses droits, l’autre happé par un mouvement collectif et se défendant bec et ongle sur le plan médiatique.
En face, deux ministres d’État pris successivement en flagrant délit de désobéissance à la justice…
Convenez-en, cela mérite peut-être que l’on s’y arrête !
Une telle désinvolture face à des décisions de justice souveraines, un tel refus de suivre les injonctions de la justice dès lors que personne ne voit tel ou tel responsable mettre les doigts dans la confiture n’est que la révélation par l’exemple de l’évolution d’un état qui glisse dangereusement vers le totalitarisme.
Nous réclamons l’application par l’État des décisions de justice et le respect des lois réglementant les commissions disciplinaires. Il est essentiel de rappeler que le socle de notre démocratie se construit sur l’indispensable séparation des pouvoirs (judiciaire, exécutif, législatif).
Pour toutes les personnes qui, un jour ou l’autre, ont eu, ou auront besoin de faire valoir leur droit, au-delà de ces rapports à la justice, de cette lutte quasi solitaire pour faire valoir des droits, il semble bien tout de même que l’action collective, le rapport de force pugnace des petits de rien du tout face aux hiérarques de tout poil, d’état ou de syndicats, soit une voie de contre-pouvoir à remettre sur le tapis.

Erwan Redon, Alain Roche