Notre identité sociale

mis en ligne le 28 janvier 2010
Mercredi 13 janvier tôt le matin à la gare d’Amiens, les militants CNT venus de Paris et sa région arrivent en partie par le train et rejoignent les ouvriers de Continental déjà présents aux abords et reconnaissables car tout décorés d’autocollants oranges. Dans un froid glacial, malgré l’ambiance, nous nous regroupons avec quelques camarades de Moselle et de Normandie ; avec nous des militants locaux de la Fédération anarchiste et déjà des explosions bruyantes de pétards laissent supposer que les gens sont venus pour se faire entendre.
De nombreux drapeaux Solidaires attestent la présence significative des syndiqués SUD (rail en particulier) autour de Christian Mahieux, qui a aussi fait le déplacement pour soutenir cette nouvelle manifestation des Conti. Les diverses organisations politiques de gauche constituent le reste d’un cortège qui s’ébranle rapidement derrière les salariés licenciés ou menacés de licenciement de Continental, de Goodyear ainsi que des ouvriers de la région travaillant chez Valéo, Véolia et autres.
La banderole noire et rouge de la CNT annonce les couleurs : « Contre les directions syndicales qui collaborent avec le Capital. Maintenant grève générale ». Derrière, une trentaine de personnes (non permanentes) assurent une dynamique remarquée. Les slogans sont clairs, pas de compromission, mais ils sont dans le ton, la suite le confirmera.
Le trajet sera étonnamment court, la présence de cars de la gendarmerie au milieu d’une rue a pu nous faire croire à une provocation, en fait nous étions arrivés devant le tribunal.
Sur une place déjà équipée pour les prises de parole, autour d’un kiosque à musique, les diverses banderoles sont fixées entre les arbres. Devant nous un bâtiment domine la foule ; c’est de cette hauteur qu’on condamne les révoltes au nom du peuple.
C’est de là qu’est dit le droit et énoncée la loi, c’est de nos luttes que viendra la justice. Pourtant, en lettres dorées, il est écrit « Palais de Justice »: palais comme là où vivent les princes. Pour ne rien cacher, je me sens bien parmi les manifestants, on débat simplement, on s’informe, on ne s’est pas trompé d’endroit, on est bien venu au rendez-vous de la solidarité de classe. Ici je suis renseigné sur les luttes par un salarié de Goodyear, là c’est un militant allemand venu de Dortmund qui diffuse une déclaration de solidarité.
Côté organisations syndicales « représentatives » : pas de représentants.
Bon sang qu’on est loin des Manufrance. La CGT locale s’exprime par la voix d’un membre du comité de soutien, par celle aussi du représentant de la fédération chimie, par celle surtout de Xavier Mathieu qui parle juste. Ce copain-là est formé par la lutte, ça s’entend.
Ses camarades de Continental-Clairoix ne s’y trompent pas non plus ils ont appris vite sans doute, tard peut-être, mais ils et elles ont compris qu’un ordinateur vaut plus cher que la liberté d’un individu sur l’échelle ouverte du capital et de ses complices.
Les prises de parole se succèdent assez rapidement car l’heure de l’audience approche, les politiques présents interviennent avec plus ou moins de bonheur. Le représentant du PS arrivera « trop tard » pour intervenir au kiosque et juste à temps pour témoigner dans l’enceinte du tribunal ; c’est ce qu’on appelle un planning diplomatique.
Les manifestants auditeurs réagissent vivement aux déclarations et s’ils soutiennent l’idée de poursuivre et développer les luttes au-delà de leurs propres cas, les réactions confirment qu’ils n’attendent pas qu’une solution sorte des urnes. À noter encore l’intervention de l’avocate des prévenus venue défendre, déclare-t-elle, non pas des clients mais, avec beaucoup de fierté, ses camarades.
Depuis le matin tout se déroule sous l’oeil des caméras de télévision au nombre desquelles on ne compte pas TF1. La chaîne (que ça sonne juste) si présente à la sous-préfecture de Compiègne et dont les images seront utilisées au cours du procès a dû juger que son rôle d’auxiliaire s’arrêtait là.
Enfin nous accompagnons les personnes autorisées à franchir les grilles, je ne me plains pas de rester dehors, en chantant l’Internationale et en scandant des slogans qui sont parfois ceux de la CNT. Décidément, nous avions bien toute notre place dans cette journée.
Ce qui s’est passé à l’intérieur, je ne l’ai pas vu.
On peut imaginer que le Parquet souhaite maintenir une condamnation contre ces ouvriers en révolte. Il est bon pour le pouvoir de montrer un exemple pour intimider ceux et celles qui voudraient le mettre en cause, il y a fort à parier que les magistrats l’entendront.
Je me prends à espérer que la peine soit la moins lourde possible, nous n’avons pas besoin de martyrs. Nous avons besoin d’hommes et de femmes en capacité de mettre en échec ce patronat arrogant, revanchard, agissant en toute impunité. Il nous reste à apprendre et à comprendre et s’il y a eu une faute commise au cours de ces dernières années chez les Conti, ce ne sont pas vos moments de colère, ce ne sont pas vos luttes, c’est bien d’avoir accepté de revenir aux 40 heures pour « sortir de la crise », comme l’Histoire l’a démontré.

Jean, Groupe Pierre Besnard