Lettre à la prison de Marc Scialom

mis en ligne le 17 décembre 2009
Scialom Marc : une valeur sûre : comme le bon vin, où la dernière bouteille d’une cuvée n’a pas de prix. Appliqué à son film Lettre à la prison, cela veut dire que c’est sa première et dernière bouteille son unique film en fait * qui a gardé sa beauté sauvage, son impact formel, son esthétique sobre. Puisque le négatif a été perdu et que nous regardons quand même un film impressionnant de beauté âpre, on se dit en rageant qu’est ce que cela a dû être et comment l’original perdu à tout jamais aurait dû prendre sa place parmi les plus beaux films des cinquante dernières années… Tous les plans sauvés et restaurés par les Films Flamme de Marseille (restaurateur : Jean-François Neplaz) à partir d’une copie de travail tout abîmée portent l’empreinte d’un vrai cinéaste. Car Marc Scialom travaille davantage par la suggestion de faits et de gestes que par protocole obligé de la psychologie ou de la sociologie de souffrances ouvrières ou de vexations infligées aux travailleurs immigrés. Scialom raconte par des images fortes ce qui est invisible. L’envie de retrouver ce frère. L’angoisse d’être exilé, se sentir débouté par des interdits.
Ce film brûlot, Lettre à la prison, est sorti sur nos écrans et poursuit sa carrière. Projeté au Saint-Michel parce que la copie est une copie numérisée, dans une seule salle (format et support obligent), Lettre à la prison raconte le voyage d’un ouvrier tunisien d’origine italienne vers Marseille où il espère retrouver son frère. Disparu ou absent ou en prison, à ce frère il écrit - d’où le titre - en pensée, en marchant, en allant à la mer, en se rappelant des bribes de son enfance, une histoire d’amour : il voit son frère et une fille blanche, blonde, des histoires de racisme, de jalousie et de douleur.
Témoignage singulier d’une immigration mal connue des années 1960, chef-d’œuvre en noir et blanc (et en couleurs) diront d’autres. Car même si le film raconte le désarroi d’un immigré, qui veut retrouver son frère, disparu ou en prison ou ailleurs, c’est un film plastiquement proche d’un Glauber Rocha débutant ou des films de la Nouvelle Vague comme À bout de souffle que le champ contrechamp du documentaire établi sur la condition des travailleurs immigrés de cette époque.
En tout cas, c’est un bonheur de découvrir ce film aujourd’hui, quarante ans après et de rencontrer son réalisateur qui parle avec une belle sérénité de ses projets de maintenant : finir un film sur les rapports entre juifs et musulmans dans la ville de Marseille.

* Les plans en couleur intégrés dans le film proviennent d’un court-métrage de 35 minutes, En silence, tourné en 1957.