Collés à l’histoire

mis en ligne le 10 décembre 2009
Quarante années de propagande politique adhésive sont réunies dans les chapitres préparés par Zvonimir Novak, professeur d’arts appliqués et grand collectionneur de vignettes militantes. En vérité, Zvonimir Novak nous emmène encore un peu plus loin dans le temps puisqu’il nous présente aussi quelques spécimens de vignettes gommées datant de 1906. Dans le livre de Guillaume Doizy, Les Corbeaux contre la calotte (éditions libertaires, 2007), on notait qu’à cette époque les anticléricaux diffusaient déjà des milliers de papillons pour bouffer du curé via des illustrations saignantes. Au même moment, la CGT (conduite alors par les anarchistes) utilisait, entre autres choses, des moyens identiques pour militer en faveur de la « grève générale expropriatrice ». Les éditeurs du Libertaire faisaient aussi leur « pub » de cette façon, tout comme le syndicat de locataire créé par l’anarchiste Georges Cochon, ancêtre de Droit au logement, qui éditait des vignettes pour lutter contre les proprios vautours.
Les amis qui abordent la cinquantaine ou la soixantaine retrouvent dans le livre de Zvonimir Novak une partie des autocollants qui ont tapissé leur 2CV, leur 4L ou leur combi VW dans les années 1970-1980 : Lip, Larzac, objecteurs de conscience, lutte antinucléaire… Les plus jeunes pourront observer à la loupe les autocollants qu’ils croisent aujourd’hui sur du mobilier urbain ou sur des manifestants : le chat noir cénétiste, le haut-parleur du NPA, le « Casse-toi pov’con » du PG, etc. Chaque document est accompagné d’une description, d’un commentaire, de son année de parution, de son format et de son auteur.
Les anarchistes (FA, AL, CNT, Scalp-No- Pasaran, autonomes, etc.) ouvrent le bal avec une imposante production anticléricale, anti-répression, anticapitaliste, féministe, antifasciste… Les dessinateurs Reiser, Cabu, Luz, Faujour, Tardi, les Chats pelés, etc., ont pris la relève des Gustave Courbet, Camille Pissarro, Félix Valloton, Kupka ou Paul Signac qui prêtaient main forte aux anars à la fin du XIXe et au début du XXe siècle pour illustrer leurs publications.
Les éditions libertaires n’ont pas édité là un ouvrage nombriliste. Des chapitres entiers sont consacrés à l’imagerie de plusieurs planètes militantes. Défilent sous nos yeux les trotskistes (LCR, JCR, NPA, LO, OCI, AJS, PCI, MPPT), les maoïstes, les « alter-écolos » (PSU, Arev, comités Juquin, Verts, Alternatifs, antinucléaires, altermondialistes), les collectifs de lutte (antiracisme, féminisme, anti-G8, luttes étudiantes, pacifisme, Vietnam, Chili, Argentine, Pologne, Nicaragua, Kanaky, Palestine, etc.), les communistes (PCF, MJCF et quelques « satellites » : MRAP, SPF, FSGT, Mouvement de la paix), les socialistes (PS, MJS, Parti de gauche).
La Lutte des signes ne se résume pas à un simple catalogue nostalgique haut en couleurs. En télescopant affiches, vignettes et autocollants, l’auteur offre parallèlement une analyse politique, historique et graphique très poussée. Il n’hésite pas à coller bord à bord des créations révolutionnaires avec des images venant de la droite (UMP) ou même de l’extrême droite (SAC, FN, MNR, GUD) pour interroger les mécanismes propagandistes et les codes graphiques. Une étude sur le thème du poing levé, homme ou femme, avec ou sans objet, offre un panorama saisissant depuis un papillon SFIO de 1936 jusqu’à un récent autocollant de la Ligue de défense juive… Les choix de couleurs sont également commentés. Le rouge et le noir, adoptées par les communistes libertaires, les anarcho-syndicalistes sont aussi présents, pour des raisons diamétralement opposées, sur les productions de l’extrême droite. Des entretiens avec Cédric Biagini (graphiste de l’Offensive libertaire et sociale), Frédéric Speelman (graphiste LCR/NPA) et Mathieu Colloghan (graphiste des Alternatifs) permettent d’approfondir certaines réflexions.
Si quelques autocollants historiques manquent à l’appel (la main de SOS Racisme, la marguerite antinucléaire, etc.), le tour d’horizon brossé par Zvonimir Novak est très vaste. L’arrivée d’une nouvelle génération de stickers politiques montre que l’adhésif militant, héritier à la fois des vignettes de 1789 et du marketing politique américain des années 1950, est bien vivant. Mêlant critique sociale, détournements et art, des autocollants naissent dans la mouvance des groupes qui agissent contre l’agression publicitaire et la consommation. Décroissants, déboulonneurs et autres désobéissants diffusent des électrons libres amusants à la fois pertinents et impertinents. On connaît l’autocollant où le lapin de la RATP se met à dire « Ne mets pas tes yeux sur les pubs sinon tu risques de te faire manipuler très fort ». Par ailleurs, les adeptes du sticker-art s’en donnent à cœur joie. Après le célèbre « Rêve générale », saluons celui, anonyme, qui, parce que « le travail tue », appelle cette fois à la « Grippe générale ».
Avec des slogans politiques basiques, poétiques, surréalistes, provocateurs, collés sur des panneaux de signalisation routière, des boîtes aux lettres, des voitures, des poitrines, des fronts, des portes de WC…, les autocollants en plastique ou en papier plus ou moins éphémères font partie de nos vies, de nos luttes. Sous prétexte d’action contre la « pollution visuelle », certaines villes littéralement étouffées par des panneaux publicitaires gigantesques, des « sucettes » et autres enseignes lumineuses énergivores, menacent ou condamnent hypocritement les colleurs d’autocollants rebelles surpris sur le fait ou piégés par des caméras de vidéosurveillance… « Il semble que lorsque l’on n’a pas accès aux grands médias, la liberté d’expression commence avec le droit de pouvoir écrire sur un bout de papier et de le coller sur les murs », rétorque le Collectif pour l’affichage libre à Lyon. L’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme ne dit pas autre chose. Tout individu a droit à la liberté d’expression. Tout citoyen a le droit de répandre ses idées « par quelque moyen d’expression que ce soit ». Y compris donc avec des autocollants. C.Q.F.D.