Un coup d’épée dans l’eau : Camus entrera-t-il au Panthéon ?

mis en ligne le 3 décembre 2009
Le président de la République française a besoin d’un coup de lustre. Il ne sait de la politique qu’une seule ritournelle : le maquillage, la poudre aux yeux, la frime, l’esbroufe.
La présidence de la République française considère que la politique s’est purement réfugiée sous les attrape-nigauds des esclandres et coups de théâtre, et que cette rhétorique des apparences peut pallier l’absence de fond. L’absence de contenu et la vacuité abyssale de pensée politique. La forme. Tout dans la forme. La forme pour le paraître, la forme pour la perversion des apparences, la forme pour la courtisanerie, la forme des jésuites pour le métier de cour, Balthazar Gracian. La nullité de l’être face à la toute-puissance du paraître. Le jeu politique est de n’en être pas un, d’être privé de toute prérogative de signification, mais explosée de virtualité. Dans cette indigestion de signes et de néant, voilà qu’Albert Camus est soudainement convoqué au profit d’un besoin du moment : aspirer le tropisme du jour. Oui, les conseillers du prince sont payés pour redorer son blason, et un fervent camusien de droite, un pied-noir tout béat devant la grandeur d’âme du penseur, plaide pour le joker Camus pour occuper l’écran. Désir venu d’Algérie ex-française de faire entrer Camus l’anti-FLN au Panthéon.
Sottise, bien entendu. Camus ne peut pas sauver Sarko de la décrépitude rituelle, chaque jour plus sévère envers celui qui n’a aucune pertinence dans le monde d’aujourd’hui . Camus à quelle sauce ? Comme écrivain le plus lu de France ? Oui, les sondages gouvernent l’Élysée qui n’a jamais appris les métiers de l’agora hors la chambre close des sondages d’opinion. Un besoin de prestige ? Camus n’est pas Jean Moulin. Le Panthéon ! Camus n’est pas un dieu. Le Panthéon sert à cimenter la fausse croyance en une communauté nationale. Mais aujourd’hui : communauté nationale ? Qu’avons-nous à voir avec les fascistes français vénérant des clichés type « sang pur » qui n’ont de pureté que leur bêtise ? Qu’avons-nous de commun avec ceux qui sont partis opprimer leurs semblables outremer puis revinrent tout penauds, il y a cinquante ans, en métropole dont ils ignoraient tout ? Qu’avons-nous de commun avec ces gens qui croient en des vertus militaires et policières de prise de pouvoir sur d’autres humains ? Qu’avons-nous de commun avec ces attardés qui se croient à l’avant-poste des temps modernes, qui plaident pour une communauté qui n’existe plus depuis cent cinquante ans ? Rien. Il n’est de fraternité que celle qui se scelle dans les ententes fondamentales et les combats de liberté.
Le Panthéon ? Ce lieu de tous les dieux, jetés en pâture au bon peuple. Camus n’est pas comestible. À quelle mythologie nationale entend-on l’accommoder ? À tous ces décorés de l’OAS qui piaffent à l’Élysée ? Relisez donc la lettre de René Char à propos de l’impardonnable Camus : « Cette triperie de plastiqueurs, tapotées par le pouvoir dont elles sont devenues la deuxième colonne après en avoir été la première. Faire de la confiture sur de la déconfiture ne mènera à rien de bon. De beaux jours se combinent pour les crocodiles de l’efficacité. »
Camus n’est pas de ceux-là. S’il a servi son métier d’homme, c’est par sa passion de la justice et de la vérité. Par sa droiture envers ce qu’il a expérimenté dans sa vie, son corps, son émotion. Il n’a rien d’un panthéonable. Outre qu’il s’agit là d’un viol de sa conscience a posteriori, comme son fils Jean Camus l’a très bien souligné, c’est aussi une opération stérile, comme toutes les opérations élyséennes. L’opération Carla B. s’est avérée un fiasco politique, comme notre confrère du Canard enchaîné le rappelle chaque semaine. Cette opération de mannequin de la République ne sert à rien, elle ne remonte pas l’Élysée dans l’estime publique. Pourquoi déterrer Camus qui repose paisiblement là où il a choisi d’être, parmi les cigales et les lavandes de Lourmarin, pour combler le déficit du locataire de l’Élysée. Gageons que déranger Camus n’apportera rien à la présidence et nuira terriblement à la postérité de cet auteur. La latitude de nuisance d’une république, bananiére ou pas, n’est pas illimitée. Introduire Camus au Panthéon, outre une falsification certaine de sa pensée, de son action et de son œuvre, n’apportera aucun prestige. La grandeur d’Albert Camus n’émarge pas à un génie divin, mais à un sens du social et du politique quotidiennement réprouvé par les pouvoirs en place de nos jours. Il a explicité un sens de l’humain qui n’a rien à faire avec les manigances arides du château.
Déranger Albert Camus ne remédiera pas aux maux de l’actuelle République française. Il l’enfoncera au contraire davantage dans sa tourbe, éclairant par son envers toutes les incapacités de cet exercice du pouvoir en cours.
Beaucoup d’écrivains pourraient remplir ce rôle, qui partage les représentations mentales du pouvoir. Camus n’est pas de cette trempe. Un être humble, modeste qui ne s’est jamais départi de sa vérité sous aucun feu de la rampe, l’antithèse exacte des stratégies aujourd’hui prisées.
Un pouvoir qui n’a choisi pour unique boussole que les paillettes et le faux-semblant tente d’enrôler sous sa bannière un écrivain, au prétexte qu’il émeut un favori et qu’il rassemble indiscutablement les lecteurs en nombre. Ce suffrage des lecteurs ne crée pas un suffrage politique. Ceux qui lisent Camus n’éliront pas pour autant les benoîteries de l’Élysée.
Je ne voudrais pas soulever la trop facile dichotomie entre l’amoralité glauque du pouvoir exercé et la droiture d’Albert Camus qui lui fit rejoindre les anarchistes comme amis des sombres jours d’antan. Cet éclairage si certain pourrait être versé au crédit d’une conviction religieuse en un bien quelconque des affaires publiques, chose éloignée de ma pensée. Camus écrivait qu’il était du côté de la vie, ayant traversé la destruction de près, pendant la guerre. Et c’est un gouvernement qui sème le massacre chez les pauvres hères sans papiers et la destruction décomplexée chez les derniers des prolétaires d’un monde industriel périmé qui vient nous brandir Albert Camus comme « cosmétique de l’assassin ».
Que Camus entre au Panthéon ou non n’invalidera jamais son attachement aux valeurs anarchistes qui furent les siennes et organisèrent sa pensée de sorte à faire de lui un précurseur de l’antitotalitarisme, avec l’aide de ses amis indéfectibles, Nicolas Lazarevitch, Rirette Maitrejean, Georges Navel, Maurice Joyeux, et tant d’autres. Cela noircira seulement un peu plus le trait d’une équipe gouvernementale complètement dépassée par l’avènement du XXIe siècle.