Le monde a faim : entre ventres creux et coffres pleins

mis en ligne le 26 novembre 2009
Direct à l‘estomac. Toutes les six secondes un enfant meurt de faim dans le monde. Uppercut au foie. Selon la FAO (Organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture), en 2009, un milliard de personnes sont sous-alimentées, deux milliards sont atteintes de malnutrition. Toujours d’après la FAO, 30 milliards de dollars suffiraient à réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim d’ici à 2015. Notons que la somme considérée représente le 1/10ème des subventions accordées à l’agriculture des pays riches. Crochet droit à la mâchoire. Dans l’aide des pays riches aux pays dits en voie de développement, la part consacrée à l’agriculture est passée de 17% en 1980 à 4% (montant prévisionnel) en 2010. Symétriquement, le PAM (Programme alimentaire mondial) voyait son budget passer de 6 à 3 milliards de dollars entre 2007 et 2008, alors que durant la même période le prix moyen des denrées alimentaires doublait dans le monde entier. Fin du premier round. Dans la salle, confortablement installés dan leurs fauteuils, les riches digèrent en se racontant des blagues grasses. Les membres du G8, présents à l’Aquila (Italie) au mois de juillet dernier, promirent de réunir 20 milliards de dollars sur trois ans pour éviter que trop d’affamés ne tombent comme des mouches. Mi-novembre 2009. Sommet mondial de la sécurité alimentaire à Rome. Si l’on excepte l’escroc libidineux Berlusconi, les autres dirigeants du G8 font faux bond. Vu l’aggravation de la crise alimentaire, le directeur général de la FAO, Jacques Diouf, objurgue les grands de ce monde de lâcher annuellement 44 milliards de dollars. Peine perdue, le compteur des promesses reste désespérément bloqué à 20 milliards de dollars sur trois ans. La faim a-t-elle ce caractère de fausse imprévisibilité qui est la marque de fabrique de ce que l’on nomme les épisodes cévenols ? Non, pas le moins du monde. Les causes sont multifactorielles mais la plupart d’entre elles portent la marque de la main de l’homme. Les fanatiques du marché qui peuplent et dirigent l’OMC, la Banque Mondiale, le FMI, l’Union européenne, mais aussi certains grands Etats, ont présidé à la mise en oeuvre d’une concurrence mortelle entre les agricultures des pays riches et celles des pays pauvres. Il s’en est ensuivi, vu les écarts immenses de compétitivité existant entre les premières et les secondes, une énorme pression sur les prix des produits locaux, avec pour résultat un affaissement des agricultures des pays pauvres. Ce saccage en règle a accentué la dépendance aux importations et provoqué l’exode de paysans ruinés vers les villes.
Continuons à énumérer les fauteurs de catastrophe et précisons leurs rôles respectifs. En amont, nous trouvons les multinationales de l’industrie agroalimentaire. A l’aval, les « majors » de la grande distribution. Comme le souligne opportunément le Monde diplomatique du mois de novembre, dix entreprises contrôlent la moitié de l’offre semencière pendant que 4 ou 5 chaînes de supermarchés exercent leur domination dans la distribution des produits. En regard de ce dernier quasi monopole, nous rajoutons : ce qui leur permet d’essorer copieusement le porte-monnaie des consommateurs. Continuons la visite de cette galerie des horreurs. Les émeutes de la faim de 2008 ont favorisé l’émergence de nouveaux prédateurs. Les uns sont des Etats (Pays du Golfe, Libye… ), les autres, des investisseurs (fonds de couverture, groupes de capital-risque, banques d’investissement…) Les premiers motivent leurs achats de terre, ou les demandes de location de longue durée, pour satisfaire les besoins alimentaires de leurs ressortissants nationaux. Les seconds, tout simplement pour faire pisser du fric à la terre. Bien entendu, dans les deux cas de figure, la machine de propagande des uns et des autres vise à faire accroire que le souci de fournir des mirifiques opportunités aux agricultures locales est omniprésent dans leurs préoccupations. À ce jour, plus de 40 millions d’hectares, dont vingt millions pour la seule Afrique ont changé de mains ou sont en cours de négociations. GRAIN * résume magistralement cette situation : « l’accaparement actuel des terres ne peut qu’aggraver encore la crise alimentaire. Il favorise un système agricole tourné vers les monocultures à large échelle, les OGM, le remplacement des paysans par des machines, et l’usage de produits chimiques et d’énergies fossiles. Ce système ne peut pas nourrir tout le monde. C’est une agriculture qui, par la spéculation, nourrit les bénéfices de quelques uns et accroît la pauvreté des autres. » Direct court à hauteur de la rate. Vos jambes flageolent ? Courage, bientôt vous descendrez du ring. Même mon chien, pourtant pas très doué en économie, comprend la chose suivante. La croissance de la demande en nécrocarburants, plus l’augmentation des superficies spécialisées dans la production de nourriture pour les animaux, diminue d’autant les surfaces consacrées directement à l’alimentation des humains. Mécaniquement cela entraîne une baisse des stocks disponibles, d’où, depuis les années 2004-2005, une forte hausse sur de nombreux produits de base tels que le maïs, les huiles végétales (palme, soja, colza). Vous frisez le k.o ? Pas les fonds spéculatifs qui, sur les marchés à terme, se gavent de profits, quand bien même leur cupidité contribue-t-elle directement à pousser des êtres humains dans la tombe. Aspirez quelques sels. Encore plus ravageurs que les criquets migrateurs, aux plaies que nous venons de décrire, les « génies » de la finance ont apporté leur quote-part. Depuis la crise bancaire qui a éclaté en 2008, de nombreux pays ont accusé une baisse de leurs échanges commerciaux et de leurs flux financiers dans tous les domaines. Leurs recettes d’exportation ont chuté. Il en va itou de leurs investissements étrangers, de l’aide au développement et des envois de fonds. Malthusiens de tout poil, ne ricanez pas. La Terre est capable de nourrir le 6 milliards d’être humains qui la peuplent et bien davantage encore. Sauf que l’ordre capitaliste ne le permet pas, car plus il accroît le nombre des ventres creux, plus il remplit ses coffres. Votre soigneur veut jeter l’éponge ? Virez-le et sautez par-dessus les cordes. Une grande faim de combat dévorera bientôt tous les affamés de pain et de justice.

* Grain est une petite organisation internationale à but non lucratif qui soutient la lutte des paysans et des mouvements sociaux pour renforcer le contrôle des communautés sur des systèmes alimentaires fondés sur la biodiversité.