Une géante du documentaire politique disparaît

mis en ligne le 29 octobre 2009
Carole Roussopoulos, née de Kalbermatten, réalisatrice pionnière de la vidéo et militante féministe, est décédée le 22 octobre, chez elle à Molignon, dans son Valais natal (Suisse), des suites d'un cancer, à l'âge de 64 ans.
Née à Lausanne en 1945, elle s'installe à Paris en 1967 et fonde dès 1970 avec Paul Roussopoulos le premier collectif de vidéo militante, « Vidéo Out », pour « donner la parole aux gens directement concernés, qui n’étaient donc pas obligés de passer à la moulinette des journalistes et des médias ». Tout au long de la décennie, elle filme les grandes luttes d'opprimé•es : les conflits ouvriers (Lip), les luttes anti-impérialistes (Palestiniens, Black Panthers), homosexuelles (Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire) et surtout féministes - les combats en faveur de l’avortement et de la contraception libre et gratuite dès 1971, la mobilisation des prostituées de Lyon en 1975, celle contre le viol, la lutte des femmes à Chypre et dans l’Espagne franquiste.
En 1982, elle fonde avec l’actrice Delphine Seyrig et Ioana Wieder le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir puis poursuit son exploration de sujets délaissés (pauvreté extrême, sans-abris, toxicomanie, prisons, mort des malades) et commence sa série sur l’inceste, « le tabou des tabous ». Revenue en 1995 en Suisse, elle continue de réaliser en combattante des films sur les violences faites aux femmes, le viol conjugal, le combat des lesbiennes, l’excision, les études sur le genre, les personnes âgées, les dons d’organes, les soins palliatifs, le handicap.
En 1999, elle réalise Debout ! Une histoire du Mouvement de libération des femmes (1970-1980), un long-métrage documentaire qui alterne images d'archives et entretiens avec les femmes qui ont créé et porté le mouvement féministe en France et en Suisse et qui enthousiasme les jeunes féministes. Elle s'était récemment engagée dans le projet « Témoigner pour le féminisme », mis en place par l’association Archives du Féminisme (France) en partenariat avec le LIEGE (Laboratoire Interuniversitaire en Études Genre de l'Université de Lausanne) et l'Espace Femmes International (Genève), pour sauvegarder la mémoire des luttes féministes passées et présentes.
Carole Roussopoulos a réalisé et monté plus de cent-vingt documentaires entre 1970 et 2009, parmi lesquels : Jean Genet parle d'Angela Davis (1970), Le F.H.A.R. (Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire) (1971), Y a qu'à pas baiser ! (1971-1973), Lip : Monique (1973), Maso et miso vont en bateau (1976), L’Inceste, la conspiration des oreilles bouchées (1988), Les Hommes invisibles (1993), Debout ! Une histoire du Mouvement de libération des femmes (1970-1980) (1999), Viol conjugal, viol à domicile (2003), Sans voix… mais entendus ! Un hommage aux soins palliatifs (2006), Femmes mutilées, plus jamais ! (2007), Ainsi va la vie. Cancer : de la peur à l'espoir (2009), Pramont une deuxième chance (2009) et Delphine Seyrig, un portrait (2009).
Ces dernières années, le travail vidéo de Carole Roussopoulos a été programmé dans le monde entier : festivals de La Rochelle, Nyon, Trieste, à la Tate Modern (Londres), en Turquie et au Québec. En 2004, la Cinémathèque française a rendu un vibrant hommage à cette « géante du documentaire politique à l'instar de Joris Ivens, René Vautier, Chris Marker ou Robert Kramer », selon la formule de Nicole Brenez.
Son œuvre est actuellement conservée à la Médiathèque de Martigny (Suisse), et à la Bibliothèque nationale de France à Paris.
Un coffret DVD, accompagné d'un livre et comportant une sélection de vidéos qu'elle a tournées dans les années soixante-dix, sortira chez Métis Presse (Genève) en 2010.