Olivia ou la force de s’en sortir

mis en ligne le 22 avril 2010
Voici le portrait d’une femme, Olivia, maltraitée par son compagnon Michel dont elle a deux enfants, Cyndie, 10 ans, et Enzo, 2 ans et demi. Fille de bateliers, élevée en pension, Olivia ne sait pratiquement pas lire. Au chômage à 50 ans, Michel n’a pas grand espoir de retrouver un emploi. Il essaie de se recycler dans la brocante mais, pas très doué pour le commerce, il entasse des objets qu’il n’arrive pas à revendre. Olivia ne supporte plus cette vie, cet appartement encombré, la présence permanente d’un compagnon désœuvré et violent.
« Recroquevillée par terre dans la salle à manger, elle l’avait entendu préparer son repas dans la cuisine. En s’appuyant contre la bibliothèque, elle s’était mise à genoux et s’était déplacée jusqu’au canapé pour rejoindre Enzo et Cyndie. Tous les trois enlacés, ils ne formaient plus qu’un seul corps pétri de douleur et d’angoisse. Elle s’entendait encore dire : “Pleurez pas. C’est fini” avec beaucoup de difficultés car sa lèvre lui faisait atrocement mal. Elle avait fermé les yeux, essayant en vain de penser. Elle ne savait plus combien de temps ils étaient restés ainsi. Elle se souvenait que peu à peu les douleurs s’étaient estompées, qu’elle avait ressenti en elle comme un immense vide, comme si toutes ses fonctions vitales s’étaient arrêtées. Plus d’émotion, plus de sentiments, rien. Même pas l’envie de mourir. Le néant. »
Pourtant Olivia veut s’en sortir, échapper à ce déprimant quotidien. Elle trouve du travail dans une cantine scolaire et rencontre l’amour. Pierre est le père d’une copine de Cyndie. Olivia le voit souvent à la sortie de l’école et ils font un bout de chemin ensemble, une fois les enfants entrés en classe. Il est dessinateur de bandes dessinées. Ils vivent une liaison passionnée et Olivia découvre le plaisir, la tendresse, la musique et la poésie.
Le personnage d’Olivia est d’une grande force. Elle assume avec détermination l’éducation des deux enfants et s’occupe seule des problèmes de santé d’Enzo quand Michel préfère s’en remettre à Dieu. Quand son compagnon devient trop violent, elle va porter plainte au commissariat, ce qui calme sérieusement ses velléités machistes, et rencontre plusieurs assistantes sociales. Mais, par moments, elle perd courage. Quitter cet enfer est un véritable parcours du combattant et l’emprise de Michel sur elle est telle qu’elle n’en peut plus.
« J’ai fait quoi ? Il m’a dit que j’étais bonne à rien… Il a p’t’êt raison. Les larmes coulèrent à nouveau sur ses joues. Pourquoi qu’Enzo il est malade ? C’est ma faute, je suis mauvaise… Je fais toujours tout mal. Elle revit d’autres scènes, d’autres coups, d’autres injures, à d’autres moments. Qu’est-ce que j’va devenir ? Si tout y pouvait s’arrêter maintenant, je sera tranquille, oui tranquille. »
Thierry Périssé a fait le choix de transcrire les propos d’Olivia au plus près du réel et au bout de quelques répliques, on s’habitue au langage de cette femme qui ne mâche pas ses mots, qui sait se révolter, qui évolue entre la haine (de son enfance, de la violence de Michel) et l’amour (de ses enfants, de Pierre).
« Soudain, elle entendit des voix, de la musique et des bruits de mastication. Tout en mangeant les gâteaux, Enzo et Cyndie regardaient des dessins animés sur une chaîne câblée. Olivia se rendit compte alors qu’elle n’était pas seule. Oh mes amours ! Oui, vous êtes là !, se dit-elle. J’ai pas le droit d’avoir des mauvaises pensées. Il faut que je m’occupe de vous. Je va pas vous abandonner. Et malgré les douleurs, elle sentit l’amour envahir tout son être, un amour que rien ne pouvait arrêter, pas même les coups. Allongée comme elle était, elle ne pouvait pas les voir, mais peu lui importait, car leur image, leur odeur étaient en elle, tout comme l’image et l’odeur de Pierre qui se mêlait à celles d’Enzo et de Cyndie. Pierre ! Oh Pierre !, murmura-t-elle. Sa main se leva pour caresser son visage, ses lèvres, comme si l’homme qu’elle aimait était lui aussi étendu sur ce lit. De les savoir tous les trois près d’elle, elle se sentait mieux. Tellement mieux qu’elle avait l’impression désormais que plus rien ne serait comme avant, que tout ce qu’elle venait de vivre n’était qu’un mauvais rêve. Et elle s’entendit dire : ça peut plus durer ! J’va pas m’laisser faire ! »
Thierry Périssé a l’art de décrire le quotidien, le poids des habitudes. On retrouve dans ce roman, Le Cœur à l’ouvrage, cette empathie pour les petites gens, les dépossédés, les exclus, qui apparaissait déjà dans La Caravane des oubliés ou Noir horizon. On admire Olivia plus qu’on la plaint et, une fois le livre refermé, elle nous accompagne encore longtemps.

Paul Hussion