Soyez Fou : le printemps des squats parisiens

mis en ligne le 20 mai 2010
Vous êtes un as du poker de carotte, mais vous ne savez pas réparer un vélo ni parler la langue des signes. Vous pourriez être fasciné(e) par la danse-tissu en suspension, mais vous ne vous en doutez pas, car vous cultivez plutôt une prédilection pour l’érotico-gore, le feng shui ou la course de caisses à savon. Et vous avez du temps libre en ce moment… Seul remède : tombez la camisole et faîtes votre baptême du FOU. Du 21 au 30 mai, la 5e édition du Festival des ouvertures utiles se propose de combler la case manquante et d’ouvrir des portes trop souvent dérobées. Distillée sur Paris et ses alentours par une quinzaine de collectifs de squatteurs, cette potion contre la sclérose culturelle se composera d’un savant dosage de concerts (chanson française, hip hop, rock, folk, dub, drum’n’bass, flamenco…), de performances artistiques dézinguées (cabaret, théâtre, danse, body art) et de phases plus méditatives (slam, poésie, expos photos, débats, projections). Et que vous soyez adepte de la merguez noircie à souhait ou du radis sans sel et sans OGM, les repas prévus devraient vous éloigner du bar un temps suffisant pour révérer le vieil adage des nuits blanches : « Un bon fêtard est un fêtard repu. »
À l’initiative de ce festival, l’Intersquat de Paris, qui fédère des collectifs de la scène alternative parisienne, et leurs lieux de vie et de création. Des espaces d’expression citoyenne souvent fragiles, car soumis à l’omnipotence des pouvoirs publics en matière d’occupation des friches et des bâtiments inhabités au sein de la ville. Parmi les lieux qui accueillent le FOU, si certains ont régularisé leur situation, d’autres pourraient disparaître du jour au lendemain. À commencer par la Miroiterie, l’un des plus anciens squats artistiques de Paris et l’un des symboles de la scène alternative européenne : le promoteur immobilier qui a racheté l’ensemble des lots du site s’est vu confirmer ses pleins droits le 16 février 2010 par le tribunal de grande instance du XXe arrondissement, condamnant la trentaine de squatteurs à libérer les lieux « sans délai » et à payer une indemnité de 2 800 euros par mois d’occupation à compter de mars 2009.
Si la sanction n’a pas été appliquée depuis, les Miroitiers avaient manifesté, déguisés en moutons blancs, le 14 mars dernier, jour de la fin de la trêve hivernale, pour « revendiquer une place pour les artistes dans un Paris qui n’en finit pas de s’assagir, de s’assoupir dans le mol oreiller du consensus et des principes de précaution. Nous ne demandons ni places ni prébendes, mais une forme de tolérance : exister dans les interstices de la ville, occuper temporairement ses friches, vivre au plus intime des quartiers, sans être attaqués, traînés en justice, vilipendés. Les municipalités ont les moyens légaux de confier temporairement à des collectifs d’artistes des espaces urbains en déshérence ; certains l’ont fait, en France et ailleurs. Que fait Paris ? » À vrai dire, pas assez ou pas vraiment : lors du conseil municipal des 12 et 13 mai 2009, la Mairie, propriétaire d’un certain nombre de ces lieux inoccupés, avait pourtant réaffirmé sa volonté de les mettre à la disposition des collectifs de squatteurs : « Le Conseil de Paris émet le vœu que les services de la ville de Paris procèdent au recensement des locaux municipaux provisoirement vacants […] et analysent les possibilités techniques et économiques de mobilisation temporaire de ces locaux […], que les services procèdent au recueil des besoins exprimés par des associations ou des collectifs associatifs, notamment culturels et artistiques, à la recherche de locaux d’accueil à titre temporaire. »
« Temporaire », « provisoire » : il s’agit bien là de l’une des spécificités du mouvement des squats en France, le nomadisme, que défend l’Intersquat de Paris. « Les lieux vides sont une offre, explique Dimitri, à La Petite Rockette. Nous formulons la demande, encouragée par la Mairie, qui tient pourtant un double discours : elle se félicite de nos initiatives sociales et culturelles, mais elle est la première à freiner les occupations pour des détails. Peut-être qu’elle craint qu’on ne veuille plus partir quand elle l’aura décidé… Mais le nomadisme est aussi pour nous une solution pour ne pas s’enterrer, pour renouveler nos initiatives, conserver un dynamisme permanent. On revendique la possibilité et la nécessité d’avoir le choix. » Et de cultiver la différence : né en 1978 et relancé en 2008, le principe fédérateur de l’Intersquat n’établit pas de dogme commun intangible : « Pour le festival, la communication sur la programmation est regroupée, mais elle reste propre à chaque lieu, précise Dimitri. C’est une mise en réseau, afin de connaître les besoins de chacun et fluidifier les échanges. » Pour cette édition 2010, le FOU attend de 10 000 à 15 000 spectateurs. Chaque soir, un des squats est désigné « QG » : le point de rendez-vous des organisateurs de l’Intersquat, mais aussi une manière de souligner une manifestation et d’encourager la fréquentation d’un lieu en particulier… Comme La Suite, moins connue que la mythique Miroiterie, mais expulsable depuis près de six mois, et qui ne devrait très certainement pas passer l’été.

Maïté Darnault
www.intersquat.org et festivalfou.blogspot.com