Des toiles qui dévoilent

mis en ligne le 20 mai 2010
Légers tremblements de voiles
Alors que les polémiques autour des voiles, foulards, niqabs, chadors et burqas font rage, Shirin, le film d’Abbas Kiarostami, film anti-burqa par excellence, n’a fait que quelques entrées. Pourtant, il aurait pu remettre quelques idées en place. Pourquoi est-ce un film anti-burqa ? La burqa est portée surtout en Afghanistan, couvre la femme de la tête aux pieds. Le modèle traditionnel est d’un bleu délavé, une très jolie couleur. La burqa recouvre le visage, mais dispose d’un carré, d’une sorte de visière, de minuscules carrés brodés qui permettent de voir comme à travers un tissu grossièrement tissé… Point de regard qui filtre. Shirin se passe en Iran, à Téhéran. Le cinéaste montre la beauté des visages et fonde son film sur la force du regard. Chaque femme porte un foulard. Aucune n’est voilée partiellement ou entièrement. Nous ne voyons que leurs visages. Les regards expriment des émotions très différentes comme la détresse, les sourires ou les larmes. Toutes ces femmes qui montrent leurs émotions ont la tête couverte. Ces femmes choisies par le metteur en scène sont toutes des actrices. Elles sont venues dans leurs habits de tous les jours. Ici, elles jouent dans un film qui raconte la légende de Khosrow et de Shirin, l’équivalent de Roméo et de Juliette. Elles sont spectatrices d’un drame d’amour.

Les visages, miroirs de l’âme…
Sur cette force du regard, sur le pouvoir d’expression des yeux repose aussi le film argentin Dans ses yeux (Oscar du meilleur film étranger, sortie le 6 mai) de Juan José Campanella. Le regard est l’image de toutes les promesses : romance et mélo, désiré et non vécu par le policier amoureux de son supérieur, une femme juge d’une grande beauté. Ému par le mari de la victime, cette histoire de meurtre ne le lâchera plus. Regard qui révèle donc un désir impétueux et dit aussi son ambiguïté. Des photos servent à révéler ce qu’un regard avait voulu taire. Et ce désir qui affleure dans « ses yeux » peut aller jusqu’au meurtre : car Dans ses yeux est un polar qui se passe dans l’Argentine du péronisme, déjà corrompu, avec sa justice sous influence. L’enquête sur un viol, suivi d’un assassinat particulièrement odieux, sera close et rouverte. Le récit parallèle qui s’en suit s’étale sur vingt-cinq ans. Les acteurs sont remarquables et la tension se maintient tout au long du film. Deux scènes d’anthologie : la première sera appréciée par les fans de foot, la deuxième par les amateurs de films de tribunaux et d’affrontements lors d’un interrogatoire très sexy qui mènera à des aveux inattendus…

Les tremblements se font cris
Femmes du Caire de Yousri Nasrallah (sortie le 6 mai) est un film digne de Youssef Chahine, maître que l’élève a rejoint avec ce brûlot érotique en mélodrame, naturellement flamboyant. Nous voilà en Égypte, pays du mélo au cinéma où la voix, chantée ou non, a une grande importance. Les femmes sont le parler vrai de la société et ce mordant ne les empêche pas le moins du monde d’ensorceler les hommes… Yousri Nasrallah traite la question du voile dès 1995 dans un documentaire : À propos des garçons, des filles et du voile.
Hebba (Mona Zakki), personnage principal de Femmes au Caire (primé à Venise), anime un talk-show politique que son mari arriviste veut transformer en quelque chose de plus inoffensif. Film passionnant qui s’appuie sur des récits de femmes de toute condition et de tout âge. Images d’une société où les femmes se déclarent et les hommes deviennent tour à tour des objets sexuels ou des manipulateurs réactionnaires. Pour raconter l’épisode le plus surprenant, où trois sœurs se font gruger par le même homme, l’auteur et scénariste Wahid Hamid s’appuie sur un fait divers réel. La scène spectaculaire qui clôt le film est arrivée à une speakerine libanaise mariée à un Saoudien. Elle est apparue à la télévision couverte d’ecchymoses pour dénoncer les violences conjugales.
Nous sommes donc dans un pays où le port du voile n’est qu’un problème parmi d’autres. Dans une scène qui se passe dans un autobus, une femme propose un foulard à une autre à la tête nue pour la protéger des regards trop insistants. Mais ce problème du voile ne caractérise ni n’épuise les portraits de femmes : regardons l’image des trois sœurs à la plage, en robes longues, un très petit foulard sur la tête. Les hommes jouent au ballon, sont en short. Ou ce baiser d’un homme en tricot de corps et d’une femme portant foulard… Deux mondes coexistent, séparés. Yousri Nasrallah rêve de femmes qui seraient les égales des hommes et d’une société qui le rende possible. Le film traduit cela en images fortes.