Maurice Rajsfus sur nos écrans

mis en ligne le 27 mai 2010
Le film commence un jour d’hiver à Aubervilliers, « pas la plus belle des banlieues ». C’est là où Frédéric Goldbronn entraîne d’abord Maurice, sur les lieux de son enfance et commence par lui faire évoquer l’image de son père. « C’est difficile de parler de son père, soixante-six ans après » confie Maurice qui se souvient que son père n’était pas, à l’origine, destiné à vendre des chaussettes sur le marché d’Aubervilliers… Avant d’immigrer en France, afin de fuir les pogroms, il avait été professeur de russe à Varsovie, puis avait enseigné l’hébreu à Vienne. Arrivé à Aubervilliers en 1926, il dut, en tant que travailleur clandestin, faire plusieurs métiers avant d’être régularisé, maroquinier, ouvrier chez Renault, puis vendeur de chaussettes sur les marchés avec sa femme – « Il fallait bien survivre et assurer l’avenir de ses deux enfants ». Frédéric se souvient du titre d’un livre de Maurice qui l’a fait rêver et qui donnera son titre au film : L’An prochain, la révolution. Maurice explique qu’il est à double sens et vient d’une mélopée juive, L’an prochain à Jérusalem, lorsque les Juifs d’Europe de l’est fuyant la misère s’embarquent avec « dans une poche un livre de Karl Marx et dans l’autre un livre de prières », ce que qualifie Maurice de « paradoxal » pour ces Juifs athées qui, sans oublier leurs origines, veulent construire le socialisme en Palestine. Son père, embarqué à Trieste en tant que Juif, ne pourra jamais débarquer et se retrouve donc à Aubervilliers…
Dans la séquence suivante, on suit Frédéric et Maurice sur le bord du canal de l’Ourcq et ce dernier de se souvenir des premiers vers d’un poème de Prévert, Gentils enfants d’Aubervilliers : « Gentils enfants d’Aubervilliers, vous plongez la tête la première dans les eaux grasses de la misère où flottent les vieux morceaux de liège, avec les pauvres vieux chats crevés. Mais votre jeunesse vous protège et vous êtes les privilégiés d’un monde hostile et sans pitié. Le triste monde d’Aubervilliers où sans cesse vos pères et mères ont toujours travaillé pour échapper à la misère, à la misère d’Aubervilliers. À la misère du monde entier, gentils enfants d’Aubervilliers… » Retour chez Maurice qui habite aujourd’hui dans la banlieue sud. Il sort un paquet de lettres en yiddish. L’une d’entre elle a été envoyée par le frère de son père pour la naissance du petit Maurice. Comme ce dernier comprend un peu, mais ne lit pas le yiddish, ils se rendent dans la bibliothèque yiddish à côté du Bataclan à Paris pour les faire traduire. En fait l’oncle, prophète sans le savoir, promet déjà au petit Maurice une longue vie de combattant et de militant « dans un pays libre », la France, loin de la misère… On n’est qu’en 1928 et l’horreur nazie est encore à quelques années…
Une autre séquence montre Maurice qui accompagne le réalisateur Frédéric (qui a trente ans de moins que lui, mais est né également à Aubervilliers) sur la tombe de sa mère enterrée, bien qu’athée elle aussi, dans le cimetière juif de la ville. Frédéric sait peu de choses de sa vie et de sa survie durant l’occupation nazie, il n’a pas su poser les bonnes questions et Maurice explique que lui non plus n’a pas assez questionné ses parents, et que lorsqu’il demandait à sa mère comment elle vécut l’invasion de Varsovie par les Allemands, elle répondait simplement « que le seul souvenir qui lui en restait était la faim qui lui donnait encore, des années après, des crampes d’estomac ». Ensuite, l’écrivain et le cinéaste se rendent dans une école de banlieue, où Maurice explique très simplement aux gamins les conditions de la montée des lois ségrégationnistes dans la France occupée, puis celle de Vichy. Comment il avait honte et voulait disparaître sous terre quand, à l’âge de 14 ans il fut obligé de porter l’étoile jaune dans la rue, « parce qu’elle semblait mettre très mal à l’aise les passants ». Une petite fille de la classe demande à Maurice « comment on reconnaissait les Juifs » et Maurice d’expliquer, en les montrant, que ce n’était pas grâce à leurs mains palmées, mais souvent à cause de leurs noms « à coucher dehors », que ceux qui pensaient à changer de nom n’avaient pas les moyens de se payer des faux papiers… On connaît le reste.
Au sujet de son nom, Maurice explique qu’il a choisi de porter celui de sa mère pour nom de plume, parce que lorsqu’il a commencé à écrire sa longue série d’ouvrages – consacrés pour presque la moitié à la collaboration de la police française avec l’Allemagne nazie – dans les années 1980, ces dernières voyaient remonter la xénophobie, et le nom de sa mère faisait « carrément métèque », une espèce de provocation… Ensuite, Frédéric entraîne Maurice à Vincennes où vivait en 1942 la famille Rajsfus, son père, sa mère, sa sœur et lui, à quatre dans un studio. Une vielle dame qui habite à présent le studio lui permet d’y entrer. Maurice se souvient de cette triste nuit du 16 au 17 juillet où 9 000 policiers et gendarmes rafleront à Paris et en banlieue 13 152 Juifs, dont des milliers d’enfants, selon les chiffres de la préfecture de police. Il raconte la chaleur étouffante, son père qui, ce soir-là, dit, avant sa disparition définitive, ainsi que celle de sa femme : « Encore une soirée de passé. » à cinq heures du matin, dénoncés par le flic voisin de palier, « Mulot », la police frappe à la porte. Maurice raconte simplement, pudiquement, l’atmosphère « indéfinissable de ce petit matin ». Les aboiements : « Cinq kilos de bagages par personne. » Les « Dépêchez-vous, dépêchez-vous » expéditifs de la police… La mère de Maurice qui tourne dans l’appartement, cherchant à faire reculer le temps de l’embarquement… Les chaussures neuves de Maurice qui le font souffrir, quand il descend les escaliers « comme une descente en enfer », avec les habits chauds que leur mère leur a enfilés en plein été, « comme si elle avait le sentiment qu’il fallait qu’ils durent ». Les rues désertes et la rue du Bois où « les dizaines de policiers font escorte aux raflés, comme s’ils allaient se sauver ».
Maurice continue à raconter les journées interminables passées au Vel d’hiv sans boire ni manger et puis le temps de la séparation d’avec les parents, tandis qu’il est décidé que les enfants de plus de 14 ans et de moins de 16 ans sont libérés. Sa sœur qui en a un peu plus y échappe de peu. La mère qui les embrasse une dernière fois et leur disant de s’enfuir vite (même si à l’époque rien ne laissait présumer le pire qui advint) et donnant tout ce qu’elle possède à sa fille, le peu d’argent et la bague en or de son mariage. Mais le plus dur, raconte Maurice, « fut le réveil le lendemain matin, une fois rentré avec sa sœur à Vincennes, tandis qu’il n’y avait pas un bruit le matin dans la cuisine, plus d’odeur du café au lait et qu’ils prirent alors vraiment conscience de la situation ». Maurice nous raconte les cauchemars qu’il fait régulièrement, dont un récurrent, dans lequel sa mère, survivante des camps, les cherche en vain, devenue quasiment folle de ne jamais les retrouver.
Mais, Maurice se souvient surtout de la sainte horreur qu’il voua à partir de ce jour à la police française et à toute autorité. Son entrée au PC, puis son exclusion, alors qu’il est accusé à tort d’être un agent… de la police ! Son engagement dans les jeunesses trotskistes puis dans le groupe Socialisme ou barbarie avec Lefort et Castoriadis, mobilisant le mouvement des auberges de jeunesse contre la guerre d’Algérie dès 1955 et enfin, sa présidence de Ras l’Front de 1991 à 1999, puis la création de Que fait la police ?, l’Observatoire des libertés publiques, rassemblant « plus de 5 000 bavures policières ». Sa résolution antisioniste et ses voyages au Moyen-Orient dans les années 1980, ses quatre ouvrages sur les Palestiniens, son engagement littéraire, refusant le mot autodidacte… Quand Frédéric lui demande quand il a arrêté l’école, il explique qu’il était en 5e et que c’est alors « plutôt l’école qui l’a arrêté, au moment de la rafle… ». Qu’après la guerre, il n’avait plus goût à rien, surtout pas à reprendre des études, ce qui ne l’a pas empêché, dans un style et une écriture irréprochables, d’avoir écrit à ce jour plus d’une cinquantaine d’ouvrages et animé des centaines de conférences à travers la France et ailleurs… Quand, pour conclure, le réalisateur lui demande s’il n’est pas un peu lassé de tout ça, Maurice répond : « Je préfère continuer à témoigner sur la politique sécuritaire que d’aller jouer aux boules dans les squares… Je ne veux pas convaincre, car je refuse tout autoritarisme, mais simplement informer et témoigner, ce que je ferai jusqu’à mon dernier souffle. » Clin d’œil libertaire, le film s’achève sur Monsieur Tout-Blanc de Léo Ferré : « Monsieur Tout-Blanc, vous enseignez la charité bien ordonnée, dans vos châteaux en Italie. Monsieur Tout-Blanc, la charité, c’est très gentil mais qu’est-ce que c’est ? Expliquez-moi… Pendant c’temps-là moi j’vis à Aubervilliers. C’est un p’tit coin perdu au bout d’la misère où l’on n’a pas tell’ment d’questions à s’poser, pour briffer faut bosser mon p’tit père… »



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


PrNIC

le 12 janvier 2012
Quels sont les frais de port pour ce DVD sur Rajsfus ?

Steph

le 14 janvier 2012
Vous pouvez très facilement commander ce DVD par la librairie du Monde libertaire.
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