Une taupe à Pôle emploi

mis en ligne le 5 juin 2010
1598JokokoGaël Guiselin, auteur de Confessions d’une taupe au Pôle emploi *, a été chômeur de longue durée, puis employé au Pôle emploi. Pas un travail de tout repos, comme en témoigne la réaction de la cellule de crise qu’il a appelée après s’être fait agresser par un chômeur à bout de patience : « Bonjour, je vous appelle parce que j’ai été victime hier d’une agression physique sur mon lieu de travail, et je souhaite en parler avec vous. » À sa stupéfaction, il s’entend répondre : « Monsieur, nous sommes là pour parler de la fusion, pour discuter avec les agents qui sont déstabilisés. L’agression physique n’est pas de notre ressort. » On ne fait pas plus clair.
Sarko a fusionné l’Anpe et les Assedic. Afin d’économiser des salaires. Et non pas, bien entendu, de mieux faire fonctionner le système, comme il le prétend. Les agents de l’Anpe n’ont pas été formés à comprendre le mécanisme très complexe des Assedic. Les agents des Assedic ne savent rien des techniques de l’ANPE. Au milieu, les chômeurs, brutalisés tant par un système calculé pour les radier que par l’incompétence des agents qui traitent leurs dossiers. Comment s’étonner que, poussés à bout, ils se révoltent en tabassant les agents ?
Le système est au bord de l’implosion. Même physiquement : « Au commencement, ce furent quelques documents grignotés dans le local des archives. Puis d’autres. Carrément rongés, ceux-là. Il y eut aussi les grattements suspects derrière les cloisons, et de fortes odeurs dans le faux plafond. Et, enfin, les hurlements d’une demande d’emploi, tentant d’escalader un bureau par la face nord. L’agence hébergeait une colonie de gros rats hyperactifs. » Guiselin remarque aussi ce que les officiels appellent la transhumance. La transhumance est une migration des moutons. Mais les chefs utilisent ce mot pour décrire ce à quoi ils forcent leurs employés : « À Pôle emploi, personne n’a de bureau fixe. Premier arrivé, premier servi. Les agents doivent rester mobiles. Pas d’espace personnalisé, ni photos de vacances en famille, ni collier de nouilles. Nicolas Sarkozy a enfoncé le clou en septembre dernier quand il s’est moqué « des fonctionnaires qui aimaient travailler dans des petits bureaux avec des affiches de la Polynésie pour rêver ».
En ce qui concerne la Polynésie, les petits fonctionnaires ont les affiches, les ministres ont les avions du Glam.
Quant au but réel du Pôle emploi, Guiselin est très clair : « Éviter le mot « radiations ». Parler plutôt de désinscriptions, ça sonne moins négatif. » Il commente : « Lors de notre formation, nous avons été briefés. Et les consignes sont assez claires : il faut radier, mais en douce. Une bonne antenne de Pôle emploi, pour la direction, c’est une antenne qui radie, qui élague, qui coupe à la hache. Entre nous, nous nous surnommons les radiateurs. Plus le taux de radiation sera élevé, meilleure sera la réputation de l’agence. Pour éviter les états d’âme, l’agent ne radie pas personnellement. Pas bourreau, juste assistant. Il met en place les démarches qui peuvent entraîner une radiation. Comment ? En multipliant les mesures radiogènes. La panoplie à disposition est variée. On peut convoquer davantage en espérant que le demandeur ne viendra pas, et paf : avis de radiation ; lui proposer plus d’offres d’emploi, de préférence hors champ de compétence ou d’intérêt de façon à ce qu’il les refuse, et vlan : avis de radiation. »
Comme toujours, de même que les premiers prisonniers d’une prison sont ses gardiens, les agents du Pôle emploi sont les premières victimes du système : « Fliqués, les agents le sont aussi, tous les mois, par la direction locale. Chaque fois on me repose les mêmes questions : ai-je bien convoqué mes 200 clients ? Pourquoi ai-je pris du retard ? L’objectif est d’abord quantitatif. Le qualitatif est en option. Le pire est que ce flicage en amène un autre, encore plus pervers : celui qui s’exerce entre collègues. Car le respect scrupuleux de la politique maison entre en ligne de compte pour le calcul des primes collectives attribuées aux conseillers d’une agence. Personne n’emploiera le terme de prime à la radiation, pas de gros mots surtout, mais nous savons tous que les mesures que nous mettons en place peuvent se traduire par des radiations. Et nous savons que c’est la bonne application de ces mesures qui détermine le montant de la prime. » Heureusement, les agents font aussi de la résistance. Guiselin décrit bien des actes par lesquels les agents tentent d’aider au mieux les chômeurs à échapper aux conséquences du presse-citron géant appelé Pôle emploi.
Il décrit aussi ce que les chômeurs doivent faire pour se justifier : « Le jeune homme s’approche de mon bureau. Sa main gauche tient une feuille. La droite, tendue devant lui, paume vers le ciel, lui donne l’air de quêter. Il plaque son papier sur ma table et, de son autre main, laisse délicatement glisser deux dents. Des molaires pour être tout à fait précis. « On m’a arraché ça ! Voilà pourquoi je ne suis pas venu à mon rendez-vous. Ça vous suffit, ou vous voulez inspecter l’intérieur ? » Sans attendre ma réponse, le voilà qui ouvre une bouche immense en prenant soin de m’assurer une vue imprenable sur ses amygdales et sur deux trous foncés en bas de sa mâchoire gonflée, preuves irréfutables de récentes extractions dentaires. »



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


Sandra Ganneval

le 21 juillet 2011
Bonjour !
Si vous avez aimé "Confessions d'une taupe à Pôle Emploi", vous aimerez peut-être le roman "SOS FLEMMARDS".
Quelques mots de l'auteur :

"Sandra Ganneval, comment vous est venue l’idée de ce roman ?

Ce livre m’a été inspiré par mon parcours professionnel. Ayant travaillé chez Pôle Emploi, du temps où il s’appelait encore ANPE, l’idée de partager cette expérience de façon ludique me trottait dans la tête depuis un bon moment. Mais, le sujet central de l’histoire est la difficulté à s’adapter au monde du travail et à ses incohérences. J’y parle des stratégies que l’on parvient ou non, d’ailleurs, à mettre en place afin d’accepter de faire un travail peu gratifiant. Il faut parfois faire le deuil de certains rêves ou les aménager. Mes personnages principaux, Joseph et Martial y sont amenés mais ne cèdent pas à la mélancolie, bien au contraire. Ils ne renoncent pas pour autant à leur imaginaire un peu fantasque."

Je vous invite à visiter le blog consacré au livre :
http://sosflemmards.blog4ever.com/blog/index-490189.html

Merci de votre attention.
Cordialement.