Mourir en travaillant…

mis en ligne le 28 juin 2010
De nombreux articles parus dans notre hebdo préféré ont déjà largement décortiqué cette question de la réforme des retraites, qualifiée par Sarko lui-même de réforme phare de son quinquennat : l’arnaque des chiffres, l’infecte propagande gouvernementale et patronale visant une fois de plus la division des salariés du public et du privé, le contexte international, les injonctions du marché et les raisons aussi de craindre une nouvelle défaite du mouvement social ont été décrits et analysés dans ces colonnes. Redisons-le tout de même, tant le problème est central : le pouvoir actuel n’est fort que par la capacité de l’intersyndicale nationale de tout blinder pour que cela ne bouge pas au-delà des gesticulations et processions qualifiées de journées d’action… La paire Thibault-Chérèque tient la boutique avec habileté, il faut bien le dire et amène les salariés dans « l’unité »… dans le mur.
La CFDT ne peut plus se permettre le luxe comme en 2003 de trahir publiquement, mais avec la complicité active de la direction de la CGT, elle a imposé l’idée qu’il fallait bien passer par une réforme, que c’était inéluctable et que l’objectif consistait juste à limiter les dégâts ! Le congrès confédéral de cette organisation « syndicale » tenu du 7 au 11 juin à Tours a été un modèle de manipulation, largement entretenue par les médias. Tout juste si l’on ne nous expliquait pas que Chérèque s’était radicalisé alors même que le congrès, à sa demande, actait la nécessité d’un allongement de la durée de cotisation et que des pans entiers de la réforme Fillon (concernant notamment les fonctionnaires) étaient validés par souci « d’équité » et dans un « esprit de responsabilité ».
Parallèlement, le compère Thibault, ovationné pendant ce congrès (de quoi donner des boutons à bien des militants lutte de classe de la CGT), expliquait en long, en large et en travers qu’en dehors de l’intersyndicale rien n’était possible et que le processus de journées saute-mouton (23 mars, 27 mai, 24 juin…) allait continuer jusqu’à… épuisement des troupes !
La situation est désormais simple, du moins dans sa présentation : le projet est connu et le gouvernement n’y renoncera que contraint et forcé tant les enjeux politiques et financiers sont grands. Le calendrier n’offre pas non plus de mystère. Présenté au Conseil des ministres du 13 juillet, le projet de loi sera discuté au Parlement tout le mois de septembre.
Alors que cherche-t-on sur le fond et sur la forme ?
Le retrait pur et simple du projet Sarko- Fillon-Chérèque, qui n’est ni amendable ni négociable, ou son « aménagement » à la marge, synonyme d’accompagnement de la régression sociale ?
Et si on demande clairement le retrait, on fait quoi pour l’obtenir ? Une énième journée d’(in)action en septembre ou un ultimatum au gouvernement avec préparation de la grève interprofessionnelle pour bloquer l’appareil productif notamment ?
D’une certaine manière, cette problématique était contenue dans la journée de grève et de manifestation nationale de FO le 15 juin. Certes, il ne faut pas se raconter d’histoire, la grève a été globalement peu suivie même si ici ou là (à Marseille, par exemple), elle n’est pas passée inaperçue ou que des postiers CGT ou SUD l’ont suivie, mais les 50 000 manifestants (le vrai chiffre) très déterminés et souvent très clairs dans l’expression de la revendication (cela fait plaisir de voir une manif digne de ce nom où les slogans priment sur la musique ou les chansons) constituent un point d’appui non négligeable pour la suite. Le 28 novembre 1995, FO n’avait pas réussi à rassembler autant de monde et pourtant cela avait été déterminant dans le déclenchement de la grève et la victoire au final avec le retrait du plan Juppé-Notat. Reste à savoir si la direction de FO va maintenir, malgré les pressions syndicales, politiques et médiatiques, sa ligne d’indépendance, petit grain de sable dans le plan bien huilé pour nous faire avaler la couleuvre de la réforme. Les 1 000 territoriaux FO de Marseille réunis en AG ont déjà donné en tout cas un mandat à leur confédération : maintenir le cap, exiger le retrait pur et simple du projet Fillon et préparer, à compter du 7 septembre (premier jour prévu de discussion à l’Assemblée nationale), la grève en s’adressant solennellement aux autres organisations (CGT, SUD et FSU notamment) pour qu’elles prennent enfin leur responsabilité. Il est bien évident que si cela se fait, cela passera par la base qui imposera l’unité sur des bases claires.
Au final, on en revient toujours à la même question : comment reconstruire un véritable outil syndical au service des luttes et non une machine à canaliser, voire à casser les luttes.
Cette question se pose partout. Les 1 900 ouvriers chinois de l’usine de pièces détachés de Honda à Foschan, qui se sont mis en grève le 17 mai pour obtenir une augmentation de 800 yuans (environ 96 euros), ont répondu à leur manière. Face à un « syndicalisme » policier à la solde du parti et de l’État, ils revendiquent la « réorganisation de la section syndicale » de l’usine, c’est-à-dire la libre détermination de leurs revendications, de leurs modes d’action et de leurs mandatés. « Mourir en travaillant ou vivre en combattant », ils ont choisi.