Un accident hautement improbable : de la quête du profit à la marée noire

mis en ligne le 6 juillet 2010
« Nous n’étions pas préparés à une telle catastrophe », aveu d’un insupportable fatalisme de la part du directeur général du groupe pétrolier BP, après l’explosion d’une plateforme au large de la Louisiane le 20 avril dernier.
De leur côté, les services gouvernementaux impliqués dans les autorisations de forage n’ont pas obligé BP à fournir une étude d’impact détaillée, après avoir conclu qu’une marée noire était peu probable. L’inconscience des dirigeants des multinationales n’a rien à envier à celle des pompiers pyromanes de la classe politique américaine – Obama en tête – qui, le mois précédent, s’étaient résolues à une extension des forages pétroliers et gaziers offshore dans l’espoir de rallier les républicains aux nouvelles lois sur la lutte contre le changement climatique !

Yes, jerrican !
Il est vrai que l’effort « décisif » de l’administration américaine, dans la foulée de Copenhague (réduction de 5 % des émissions de gaz à effet de serre en 2020 par rapport à 1990), est suspendu à l’approbation de ces lois. À les entendre, les États-Unis sont confrontés à « la pire catastrophe écologique » de leur histoire, violent retour de flamme pour la société la plus droguée au pétrole, condamnée à une course effrénée aux approvisionnements énergétiques pour alimenter sa croissance.
Cette logique destructrice est particulièrement bien illustrée par l’entreprise BP, dont le virage stratégique depuis 2009 consistait à se recentrer sur les hydrocarbures, en se retirant progressivement des énergies alternatives, poussée par la logique purement financière des actionnaires et notamment des retraités britanniques qui ont joué une partie de leur avenir dans les fonds de pension BP. La multinationale ayant prévu d’utiliser les dividendes pour l’indemnisation des victimes, les adeptes des retraites par capitalisation auront là une bonne occasion de réfléchir au bilan de leur sinistre stratégie.
Dans ce système capitaliste, il y a toujours un chien de garde pour justifier les délires technoscientifiques au nom des besoins immenses de la population. Mais à ce jeu du « toujours plus », nous serons assurément tous perdants.

« Le développement, c’est bon pour l’emploi » ?
Pour la pêche à la crevette au large de La Nouvelle-Orléans, c’est terminé pour une bonne dizaine d’années au moins.
Faut-il rappeler, à tous ceux dont le cerveau a la forme d’un tiroir-caisse, que l’argent ne pourra jamais réparer les dégâts occasionnés sur les écosystèmes et la biodiversité ? En outre, dans le golfe du Mexique, la pollution engendrée menace directement plus de quatre cents espèces, dont des baleines, des dauphins, des lamantins et de nombreux oiseaux. Mais ce désastre en haute mer n’est malheureusement qu’un avant-goût des catastrophes annoncées d’un capitalisme qui ne sait, par « essence » même, ni prendre en compte ni résoudre la question des limites de la biosphère dans lequel tout système s’inscrit.
L’histoire de l’exploitation des champs pétrolifères montre que les hommes sont allés du plus facile au plus compliqué. Une fois franchi le pic de Hubbert, les perspectives ne reposent plus que sur les schistes bitumineux et autres gisements de grande profondeur : la quête du pétrole devient alors économiquement plus coûteuse, écologiquement plus dangereuse et énergétiquement de moins en moins rentable.
Mais Obama mise également sur le nucléaire qui, question dangerosité, est effectivement l’énergie la plus prometteuse.
Une suicidaire « pédagogie de la catastrophe », qui appelle la multiplication des accidents de plus en plus graves afin que les sociétés accèdent à une prise de conscience des problèmes liés à leur développement.

Investir plus pour décliner plus
Comme à chaque nouvelle crise, les dirigeants sortent leurs mouchoirs et jurent la main sur le cœur qu’ils vont s’attaquer sérieusement à la question énergétique : ils rêvent d’un capitalisme vert porté par la panacée des énergies renouvelables. En espérant des rendements énergétiques qui ne sont souvent pas à la hauteur des enjeux, ils prétendent orienter les investissements vers toujours plus de haute technologie en assurant la mainmise des grands groupes industriels sur les profits à venir. Il s’agit de retirer encore plus d’autonomie aux populations, désormais censées s’en remettre aux technosciences. Cette stratégie favorise la concentration des capitaux et renforce l’État.
Le développement du capitalisme a jusqu’à présent reposé sur l’accès à une énergie abondante et le dernier espoir est de réactiver ce mythe avec les énergies renouvelables.
Quand bien même une énergie miraculeuse apparaîtrait, celle-ci serait à coup sûr un accélérateur pour la consommation d’autres ressources.
Le seul véritable levier dont nous disposons est encore et toujours celui de la sobriété, des économies d’énergies à grande échelle. Il s’agit plus que jamais d’entrer en décroissance sur la base d’une autre organisation sociale, en se débarrassant du système capitaliste qui, aux États-Unis comme ailleurs, nous empêche de reprendre le contrôle de nos vies.