Viols, agressions : un cri dans la nuit

mis en ligne le 26 septembre 1985
Il y a bien longtemps qu'on ne les voyait plus descendre dans la rue, hormis à l'occasion du 8 mars, journée internationale des femmes. Mille cinq cents femmes sur le boulevard Magenta, c'est toujours pour rappeler qu'aujourd'hui comme hier, elles en ont « ras le viol ».
Alors que toute contestation sociale semble avoir reflué depuis quelques années de l'avant-scène, les trois viols dénoncés publiquement depuis le mois de mai viennent nous rappeler que toute avancée n'est jamais définitive, que la préservation des droits acquis est une lutte quotidienne à mener en parallèle de celle visant à faire évoluer les mentalités.

La psycho-crise
Les femmes paient la crise, ce n'est pas nouveau et cela va croissant. Il n'y a qu'à jeter un œil sur les dernières statistiques de l'INSEE : les premiers dépouillements montrent que les jeunes femmes sont plus touchées par le chômage que les hommes du même âge (30,5 % pour les femmes de 15 à 24 ans; 24,5 % pour les hommes). Parallèlement, la progression du travail à temps partiel est beaucoup plus forte chez les femmes. Le retour des femmes à la maison, le manque de crèches, le lancement d'une campagne pour inciter les femmes à faire des bébés « blancs » (avec de mauvais relents de « ne nous laissons pas envahir par les bébés immigrés »), la réduction du nombre d'IVG pratiquées dans les centres d'orthogénie (ne correspondant pas à une baisse des demandes d'avortement) et les cas de viol en entrefilets dans la presse sont significatifs des années 80.
Lorsque le terrain social est déserté, on assiste à une renaissance du sexisme, du racisme et de toute cette gangrène qui fleurit si bien en période de crise. Cette situation s'associe malheureusement trop souvent à un climat de peur entraînant l'apathie des passants. Comment ne pas mettre en parallèle l'indifférence générale aux quelques luttes qui continuent encore de se mener et la non-intervention des passants face à des agressions racistes ou à des viols, et cela fait partie d'un même tout: le recul des mouvements sociaux, des organisations politiques et syndicales, le repli sur soi et l'individualisme croissant font de nous des proies faciles face à des crises.

Ras le viol
Cette manifestation contre le viol, même si elle ne regroupait que 1 500 personnes, est un indicateur. Elle montre qu'aujourd'hui une réaction est encore capable de s'organiser. Elle remet à l'ordre du jour des luttes féministes de ces dernières années dénonçant, dans le viol, l'agression faite à la femme dans un système patriarcal 1. Il faut reconnaître le viol dans toute son horreur avec toutes les humiliations et la domination sexuelle qu'il représente.
Il nous faut ramer à contre-courant pour imposer la reconnaissance de notre corps, lever le voile de la honte, rompre la loi du silence, étaler au grand jour les histoires de viols, de femmes battues, de mutilations sexuelles et autres ; faire reconnaître une réalité pour pouvoir la dépasser. Pour un viol déclaré, combien restent dans l'ombre ? Ne plus accepter cette soumission, c'est refuser la culpabilité et dépasser le stade de la colère impuissante.

La peur
La peur, elle, est l'un des traumatismes causés par le viol. Les collectifs contre le viol créés par les femmes en avaient compris toute l'importance et assuraient souvent un soutien moral auprès des femmes qui s 'adressaient à eux. Réagir collectivement a toujours été leur force. Ils ont su faire jouer la solidarité entre femmes, comprenant qu'elles trouveraient là les armes pour une défense individuelle.
Les réactions à ce viol ont été très diverses comme, par exemple, cet article plein d'humour et d'ironie, rédigé par Jeanne Lacanne dans le Canard Enchaîné. Proposant de passer à la contre-attaque, elle déroule sur un ton très sarcastique tout un catalogue des armes que les femmes peuvent utiliser afin de se défendre. Pour finir, elle conclut ainsi : « Le mieux serait de se payer le culot, mais nous n'avons pas encore trouvé de cours pour vaincre la sainte trouille, et de dire d'un air las aux autres tordus : "Enfin quelqu'un qui veut de moi ! Depuis que j'ai le SIDA, personne ne me touche plus…" Facile à dire ! Ce soir, pensez à nous : nous passerons notre ceinture jaune avant d'aller au stand de tir ».
Incompréhension de toute part ! Non, nous n'avons pas trouvé de cours pour vaincre cette trouille : la peur noue le ventre de chaque femme et autorise ainsi tous les sévices corporels. L'inconnu vaut mieux que la trop grande expérience de la violence. Autant la femme que l'homme a intérêt à s'opposer à ce monde d'oppression et à se lancer vers l'avenir créateur de nouveaux liens sociaux et individuels libres de toute soumission à l'autre. Pour vaincre sa peur, il suffit de si peu : de la regarder, de l'accepter afin de mieux s'en débarrasser. Hurler, clamer, rugir sa terreur face à la violence sous toutes les latitudes, telle est notre seule chance de la dépasser.

Monique


1. Voir l'article sur le viol dans le n°583 du Monde libertaire, « dossier Femme et violence ».