éduquer c’est accueillir

mis en ligne le 8 octobre 2009
Ancien éducateur qui a travaillé avec Korczak, Alexandre Lewin, définissait ce dernier comme « un homme profondément impressionné par le destin des autres ».
Je crois que l’on ne peut pas faire ce métier, que l’on ne peut pas s’intéresser à l’éducation, sans chercher à comprendre la vie de l’autre. Bien entendu, le mot destin est trop fort et je lui préfère pour ma part, le terme de « condition ».
Pour moi, être éducateur, ou enseignant, cela renvoie de toute façon à la nécessaire connaissance et découverte de la condition de l’enfant : qui est-il ? Quelle est sa vie ? À quoi pense-t-il toute la journée ? Quels sont ses mots pour dire le monde ?
L’école n’apprendra jamais rien à l’enfant si elle n’est d’abord le lieu où celui-ci peut concrètement faire d’abord l’expérience d’être connu, puis reconnu. L’école occupe aujourd’hui de moins en moins de temps réel dans la vie des enfants ; selon Claude Lelièvre, historien de l’éducation : « Ainsi, en un peu plus d’un siècle, la durée obligatoire annuelle de présence en classe des élèves de l’école primaire est passée de 1 338 heures à environ 850 heures. »
Il ressort de cette restriction une survalorisation logique des deux autres temps de l’enfance à savoir le temps familial et le temps libre. Or cette assignation à la famille, à l’heure de la déliaison et des difficultés familiales, aboutit à un enfermement inégalitaire des enfants selon leur milieu, leurs ressources.
Cet abandon des enfants que met en œuvre l’école prend l’apparence trompeuse d’un accroissement du souci vis-à-vis des fondamentaux, ou du suivi des élèves en difficulté ; ceux-là en effet sont stigmatisés par des « aides » qui ne sont destinées qu’à eux et en raison justement de leurs seules difficultés : heures de soutien, stages de vacances.
Alors que les enfants des classes moyennes profitent à plein des structures de culture, de loisirs, alors que les enfants de milieu favorisé, bénéficient de stages, de formations et de voyages, les enfants pauvres sont priés de remanger une fois de plus ce qu’ils ont vomi hier. L’enfant pauvre, par définition n’a besoin que d’une ardoise, d’un tableau, et d’un Bled !
Ce que perdent en revanche tous les enfants au jeu de la démission scolaire, c’est l’éducation au collectif, à la vie en société, la découverte de soi, et l’appartenance toute simple à des groupes qui découvrent l’autonomie.
Les uns n’auront à la place que la solitude et la relégation, les autres, la fréquentation virtuelle et épisodique d’enfants de même milieu, avec lesquels on communique mais on ne vit pas.
C’est le sens même du notre éducation qui semble perdu et quand le terme se trouve réhabilité dans les discours des ministres, ou au sein des salles des professeurs, on se rend compte que l’éducation dont il est alors question se situe bien davantage du côté de la rééducation.
Éduquer aujourd’hui comme on l’entend ne consisterait plus qu’à rééduquer l’enfant des habitudes néfastes de sa famille, de sa culture d’origine erronée et de ses mauvaises fréquentations. Si d’aventure, on rappelle qu’éduquer c’est avant tout accueillir, faire de la place, accompagner, établir une relation de confiance… on suscite souvent le plus grand étonnement et le scepticisme.
Qui rappellera qu’éduquer c’est, avant toute chose, créer du lien ? Qui ajoutera que l’éducation est d’abord un « don d’éducation » ? Une offrande obligée qui oblige à son tour et qui insère ce faisant chaque enfant dans l’humanité ?
Ayant eu l’occasion au cours de mon parcours professionnel d’exercer tour à tour comme éducateur spécialisé, instituteur, professeur d’école, directeur, animateur, formateur en travail social, j’ai été à la fois confronté à l’éparpillement, la déliaison, au manque de communication entre tous ces professionnels. J’ai également constaté l’évidence de l’unité fondamentale de la fonction éducative.
Partout j’ai fait l’expérience qu’éduquer c’est à la fois créer du lien, transmettre, donner des limites, mais aussi soigner et transformer la réalité.
En tant qu’idée l’école – en effet l’école est éternelle – mais elle doit aujourd’hui se réinventer. Ce chantier bien entendu nous concerne car tous les anciens enfants, parents, professionnels sont des acteurs d’école.
La meilleure voie, pour y parvenir passera par la compréhension que l’école doit être au service des besoins éducatifs, sociaux et affectifs des enfants ; il faut de ce point de vue « la leur rendre ».
Le livre cherche à rendre compte de cette urgence.