Jeu de société à responsabilité limitée

mis en ligne le 8 octobre 2009
Soirée de jeu de massacre pour entreprise avec cadres supérieurs : trois fois on nous joue les mêmes scènes, mais le point de vue change chaque fois. Donc petit à petit émerge toute la saloperie bien emballée d’un jeu de société, où les patrons tirent les ficelles et où personne ne sort les charbons de la braise.
Nous assistons à un jeu de rôles truqué d’avance, à un jeu de bonne société où l’on chante des « lieder » sublimes pour virer sans égards des employés trop curieux, bavards ou trop impliqués. Film ambitieux d’un jeune auteur à peine sorti d’une école de cinéma, Rien de personnel n’atteint jamais les sommets de ces films qui se sont penchés sur le même problème comme La Question humaine de Klotz, Ressources humaines de Cantet, etc. mais il réussit à faire entendre sa propre mélodie. Son idée originale rend le film par moments amusant, attachant souvent, jamais méprisable. Quand on licencie quelqu’un on lui dit souvent, vous savez, cette mesure n’a rien de personnel. On doit licencier tant et tant de personnes, donc vous, vous n’êtes pas visé personnellement. Mais le licencié le prend personnellement. Et il ne s’en sort pas. Les mensonges de la direction peuvent tuer, déstabiliser et provoquer des ruptures et des crises. Donc avec un talent certain d’écriture, Mathias Gokalp fait exister devant nos yeux des archétypes d’employés et de braves gens : le délégué du personnel, formidable Bruno Podalydès, le patron véreux, Pascal Greggory, le brave mari, Bouli Lanners, de l’employée modèle et cadre supérieur Zabou Breitman, la brave fille qui espère une promotion grugée par son mari et le château de cartes de tous ces espoirs anéantis s’écroule comme prévu à la fin. Grâce aux acteurs, cette histoire se tient et le film aussi.
Finalement, c’est le personnel de nettoyage, le préposé aux toilettes qui s’en sort le mieux. Il sait faire quelque chose que le personnage principal – qui passe pour un sous-fifre sans caractère, se vautre dans sa souffrance et qui de fait, n’est qu’un menteur et un hypocrite – ne sait pas nouer sa cravate. On pense que bien sûr il ne saura pas décrypter le reste. Grave erreur, c’est le seul qui va retirer du plaisir de cette soirée. Des filles et du champagne l’attendent dans un hôtel. Jusqu’à ce qu’on se rende compte de cette supercherie, la nuit aura été bonne. En revanche la plupart des personnages participant à ce jeu de massacre ne partiront pas dans une Mercedes avec chauffeur. Dans le meilleur des cas sur des fausses pistes. Car pistes il y a : une sorte de jeu de l’oie où le départ est donné par trois fois, mais se transforme en un jeu de massacre qui élimine tour à tour les indésirables. Chacun regarde le spectacle de cette mise à l’écart de son point de vue. Le délégué du personnel, l’employé qui est en fait un récitant et qui doit jouer un autre rôle que le sien. Cette sauterie triste pour cadres supérieurs est à l’image des entreprises et de leur dérive actuelle.