Contre le réchauffement climatique, brassons de l’air

mis en ligne le 1 octobre 2009

À l’attention de quelques sceptiques, d’abord la réalité : il va devenir de plus en plus acrobatique de la nier. Malgré toutes les incertitudes, les imprécisions, les hypothèses hasardeuses, les divergences entre historiens et climatologues, des faits sont observables : selon le rapport du Giec 1 2007, onze des douze dernières années (1995-2006) figurent au palmarès des douze années les plus chaudes depuis que l’on dispose d’enregistrements de la température de surface (1850), le permafrost (sol perpétuellement gelé des régions arctiques) fond déjà en Alaska et en Sibérie (occasionnant de nombreux dégâts : effondrement d’habitations, détérioration de routes...), la banquise arctique a perdu en moyenne 37 000 km2 par an, les glaciers connaissent un recul généralisé, le niveau des océans s’élève.
Plus encore, les phénomènes en cours risquent fort de s’accélérer à moyen terme, certains seuils seront sans doute franchis définitivement : détérioration irréversible des récifs coralliens, disparition de nombreuses espèces, cyclones, ouragans, typhons de plus en plus violents, multiplication des situations extrêmes (sécheresses plus sévères et plus longues, augmentation de la fréquence des fortes précipitations), déplacements importants de populations (50 % de la population mondiale vivent dans les zone côtières, et sont donc menacés par l’élévation du niveau des océans), perturbation des systèmes agricoles (baisse des récoltes, menaces sur la sécurité alimentaire), risques sanitaires (paludisme...). Et, bien entendu, les plus touchés seront les populations les plus vulnérables, les classes les plus défavorisées. Il conviendrait d’éviter d’atteindre le point de non-retour ! Si le pire n’est pas sûr, il importe de l’envisager.

Un mode de vie prédateur
Il ne s’agit pas de sombrer dans le catastrophisme, dans quelque fiction apocalyptique (d’ailleurs, l’entrée proche dans l’ère du pétrole rare et cher pourrait contribuer à ralentir ces dérèglements). Il ne s’agit pas non plus de nier la variabilité naturelle du climat, les causes astronomiques, le volcanisme, les variations de l’activité solaire. Mais il ne faut pas non plus prendre tous nos semblables pour des imbéciles : l’activité humaine contribue très largement à cette dérive. L’ère industrielle se caractérise par la combustion massive et progressive des matières fossiles carbonées (pétrole, charbon et gaz) : depuis le début de la révolution industrielle, la quantité de CO2 dans l’air s’est envolée, pour atteindre 385 ppm 2 en 2007 et celle du méthane 1 800 ppbv 3.
Les conséquences de nos actes tendent à nous échapper car elles se situent à une autre échelle. Aussi imprécise que soit la notion d’empreinte écologique, il est incontestable que le mode de vie que les pays «riches» ont adopté n’est pas compatible avec les ressources de la planète : si tous les habitants de cette planète voulaient adopter le mode de vie occidental, les ressources n’y suffiraient pas. Nous hypothéquons dramatiquement l’avenir des générations futures. Chauffage, transports, industries, urbanisation, engrais azotés, lisiers, élevage intensif, destruction des forêts tropicales... Le capitalisme industriel a largement contribué, non seulement au dérèglement climatique, mais à la perte de biodiversité, à l’accumulation des déchets, à la pollution des différents milieux, à l’épuisement des ressources non renouvelables, à la surexploitation des sols, c’est-à-dire à la dégradation des conditions de vie sur Terre.

La survie du capitalisme comme seul objectif
Qu’ont fait les classes dirigeantes depuis l’apparition des problèmes écologiques ? Pendant quarante ans, les élites de toutes obédiences sont restées sourdes aux avertissements, méprisant les lanceurs d’alerte, tournant en dérision les militants de la première heure, ces «sympathiques idiots», recourant massivement au mensonge et à la désinformation (voir les marées noires, les nitrates ou le nuage de Tchernobyl). La croissance allait bon train, le PIB battait des records : on n’allait pas perdre un temps précieux sur l’insignifiance de dégâts collatéraux !
Pourtant, dès les années 1970, certains, dont Robert Heilbroner, économiste libéral nord-américain, évoquaient le réchauffement climatique. La deuxième conférence mondiale sur le climat tenue à Genève en octobre 1990 affirmait clairement que le réchauffement de la Terre était inéluctable et qu’il fallait s’attendre, à moyenne échéance, à un réchauffement général significatif et rapide. On n’insistera jamais assez sur l’immense responsabilité de ceux qui ont conduit avec acharnement les politiques les plus destructrices en matière d’environnement. Ceux qui, construisant les Trente Glorieuses, n’ont cessé de susciter l’envie, d’exciter le désir de marchandises, de multiplier les objets non réparables, le suremballage, le jetable. Ceux qui ont encouragé les outrances, les excès, le gigantisme et la surenchère. Ceux qui ont érigé l’acte de consommer en devoir civique. Ceux qui ont urbanisé à foison, bétonné le littoral, empoisonné les sols, enrésiné les forêts, asséché les nappes phréatiques.
S’il pouvait s’agir d’inconscience, d’ignorance ou d’incompétence pour certains politiciens, d’autres ne manquaient pas de lucidité (rappelons-nous Sicco Mansholt, ancien dirigeant européen dans les années 1970 : «Pour que l’humanité survive, il faut que le capitalisme meure.») Quoi qu’il en soit, aucun homme ni aucune femme politique n’arrêtera la dynamique capitaliste. C’est bien pourquoi la panique s’empare aujourd’hui des élus de tous bords. Les gouvernements peuvent bien discourir, les experts peuvent bien pérorer, les milieux d’affaires continueront à maximiser les profits parce qu’ils n’ont aucun autre choix que celui de s’agrandir ou de disparaître.
Il ne reste donc plus que la poudre aux yeux. Aveuglés par la rationalité technico-économique, nos pitoyables élus se trouvent ainsi réduits à réciter des litanies de vœux pieux, à multiplier les rencontres officielles, les «sommets», les grands-messes et les effets d’annonce, dont le seul but est de rassurer –d’anesthésier – l’opinion publique. Ils n’ont, de toute manière, aucune influence sur l’évolution du climat ; les processus sont en cours, et pour de nombreuses années ; l’emballement est probablement programmé.
C’est dans ce contexte que se tiendront le sommet au siège des Nations unies et celui du G20, à Pittsburg, à moins de trois mois du rendez-vous de Copenhague où doit être adopté un nouveau traité sur la lutte contre les changements climatiques en remplacement du protocole de Kyoto, qui expire fin 2012. Officiellement, il s’agit de «mobiliser les volontés politiques au plus haut niveau», de «donner un nouvel élan aux négociations». Dans la réalité, les faits seront moins glorieux, nos oligarchies ne parvenant pas à s’entendre. Les pays émergents craignent que les propositions ne brident leur croissance économique. Les pays pauvres ne veulent pas se laisser imposer un fardeau dont ils ne se sentent pas responsables. Considérant que tous ces pays seront à l’origine de la quasi-totalité de l’augmentation des émissions mondiales de gaz carbonique dans les décennies à venir, les pays riches rechignent à apporter leur aide (cent milliards de dollars par an pourraient être nécessaires d’ici à quelques années). Le résultat est prévisible : alors que l’ONU n’a pas les moyens d’imposer quoi que ce soit, alors que le mode de vie nord-américain n’est toujours pas négociable, les participants reconnaissent eux-mêmes que les négociations seront «incroyablement complexes» et qu’il y a un «danger réel d’échec» en décembre à Copenhague. On espère cependant que pour les convives les agapes auront été à souhait.
Au fiasco de Kyoto succédera la débandade de Copenhague, parce que le capitalisme ira jusqu’au bout de sa logique, utilisera toutes les ressources matérielles et intellectuelles dont il dispose pour se perpétuer. Menacé dans ses fondements, ce système poursuivra ses manœuvres de récupération de la «problématique» écologique : arsenal de mesures techniques et financières qui ne remettent rien en cause (taxe carbone, voiture électrique, relance du nucléaire...), culpabilisation des individus à travers l’imposture du développement durable, tendant à faire croire que l’écologie est compatible avec la croissance et les exigences du marché. C’est-à-dire la sauvegarde de l’idéologie dominante, la fuite en avant dans un capitalisme vert, dont le Grenelle de l’environnement n’aura été qu’un épisode.
Demeure une lancinante réalité : la planète n’a pas les moyens de supporter 9 milliards d’individus (vers 2050) avec le mode de vie nord-américain. Même s’il a toujours su faire preuve d’une étonnante souplesse d’adaptation, le capitalisme ne déjouera pas les lois de l’entropie ; après avoir saturé tout l’espace disponible, il n’a pas non plus de planète de rechange. «Oubliant», dans l’effervescence des opérations boursières et l’exacerbation de l’individualisme consumériste, la dépendance cosmique de l’homme, il ne pourra que perpétrer un crime silencieux, parce que différé.

Vers une révolution sociale, écologique et libertaire
La seule perspective d’émancipation humaine et de «sauvetage» de la planète, le capitalisme ne peut pas la mettre en œuvre puisqu’elle lui serait fatale, c’est une décroissance, mais ni celle des républicains ni celle de la droite extrême, ni la résurgence d’un prétendu État de droit qui serait capable de préserver les ressources et de restaurer les écosystèmes par des mesures draconiennes (on sait à l’égard de qui), ni un retour pétainiste à la terre, un attachement aux «racines» ou l’essor d’une «biorégion».
L’autogestion, la gestion directe, s’annoncent comme les voies les plus prometteuses dans la préservation de l’environnement en général, et dans la relocalisation de l’économie en particulier. Quel est, par exemple, l’intérêt de centraliser les énergies renouvelables, qui sont, par définition, disséminées sur différents territoires, sinon le contrôle social et le profit ? Pour y parvenir, il faudra vaincre un obstacle de taille : la coalition entre l’état et le capitalisme. Un autre monde est encore possible (pour combien de temps ?), mais on ne le construira ni avec des stratégies politiciennes, ni avec des manœuvres électorales, ni avec des manifestations-lâcher de ballons, ni même avec des grèves-folklore de vingt-quatre heures.


1. Giec : groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (IPCC en anglais).
2. Ppm : partie par million, soit un millionième d’une quantité.
3. Ppbv : partie par milliard en volume, soit un milliardième.