Cent ans, déjà ! La SAC et l’anarcho-syndicalisme suédois

mis en ligne le 9 septembre 2010
Cet été 2010, en juin, la Suède fêtait le centenaire de sa centrale anarcho-syndicaliste : la SAC (Sveriges arbetares centralorganisatio [Organisation centrale des travailleurs]). Petit retour sur l’histoire de cette organisation, pionnière du syndicalisme libertaire en Suède.

Naissance et apogée de la SAC
La SAC a été créée en juin 1910 à Stockholm par des syndicalistes révolutionnaires en rupture avec l’organisation et la politique menée par la Lands Organisation (LO), le principal syndicat suédois de l’époque, étroitement lié au parti social-démocrate. Les divergences à l’origine de la scission concernaient essentiellement la bureaucratisation galopante de l’appareil syndical qui bloquait les initiatives de la base. Mais ce n’est pas tout. Ces quelques dissidents accusaient aussi la LO de vouloir enterrer la hache de la guerre sociale au profit d’une collaboration du syndicat avec le patronat, notamment à travers l’acceptation et la mise en place des conventions collectives. Ils refusaient également le regroupement centralisé en fédérations d’industrie, lui préférant largement une organisation à échelle locale en sections syndicales interprofessionnelles.
Si, à sa création, la jeune SAC ne comptait qu’un petit millier d’adhérents, elle prend rapidement de l’ampleur et atteint, en 1924, un total de plus de 37 000 syndiqués. Cet essor, plutôt étonnant, peut notamment s’expliquer par le type révolutionnaire de syndicalisme que la SAC propose alors : un syndicalisme de classe, internationaliste, au fonctionnement horizontal, résolument antiautoritaire et autogestionnaire, dans lequel les travailleurs syndiqués contrôlent eux-mêmes leur organisation, sans délégation bureaucrate de pouvoir et de responsabilité et garantissant l’autonomie de chaque membre. La SAC refuse également la mascarade électorale et défend fermement une indépendance totale de l’organisation syndicale vis-à-vis des partis politiques. Révolutionnaire, elle considère le syndicalisme comme le rouage essentiel de la lutte pour l’avènement d’une société socialiste libertaire dans laquelle les travailleurs auront la pleine gestion des outils de production, en dehors de tout contrôle étatique ou patronal. La SAC se pose dès lors en alternative pertinente pour tous les travailleurs lassés par l’autoritarisme et la mollesse de la LO.
D’un point de vue national, la SAC se répartit et s’organise sur tout le territoire suédois en sections locales qui, selon les cas, peuvent se regrouper en unions de cellules. Bien que rattachées à une même centrale, chaque section locale et union de cellule est indépendante et autonome.
Mettant un point d’honneur sur la formation culturelle et militante des travailleurs, la SAC se dote, en 1922, d’un quotidien – Arbetaren – qui, en 1946, par la force des choses, change de formule et devient hebdomadaire. Ce journal, qui existe encore aujourd’hui, a une place relativement importante dans le milieu politico-culturel suédois. Les réflexions et analyses qu’il propose sont réputées pour leur pertinence et leur richesse.
La même année, à Berlin, forte de plusieurs dizaines de milliers d’adhérents, la SAC participe à la création de l’Internationale anarcho-syndicaliste – l’Association internationale des travailleurs (AIT) –, preuve de sa vitalité et d’un certain poids dans le mouvement ouvrier mondial. Cette collaboration internationale avec les autres organisations anarcho-syndicalistes fera ses preuves, du moins en partie, pendant la guerre d’Espagne en 1936. Très proche de la Confederacion nacional del Trabajo (CNT), la SAC organise la solidarité suédoise aux antifascistes et révolutionnaires espagnols. John Andersson, un de ses membres fondateurs et secrétaire général, adhère au Comité international de la Solidarité internationale antifasciste (SIA) – principale organisation libertaire d’aide et de soutien à l’Espagne – et fonde une branche en Suède. D’autres militants de la SAC s’engageront aussi dans le soutien à l’Espagne révolutionnaire, soit à travers l’activité de la SIA locale, soit en se portant volontaire pour aller combattre les fascistes.
Peu après la débâcle antifasciste espagnole, dans les années 1940, quand éclate la Seconde Guerre mondiale, la SAC s’engage dans la résistance aux fascismes européens et lutte contre la collaboration entre le gouvernement suédois et l’Allemagne nazie. Évidemment, elle devra essuyer la répression.

Les années de la déchirure
Depuis la fin des années 1940, deux tendances s’affirmaient de plus en plus au sein de l’organisation : une tendance « réformiste », du moins plus ouverte et moins figée dans le respect pur et dur des principes théoriques, notamment représentée par le célèbre anarcho-syndicaliste Helmut Rüdiger, et l’autre, plus « traditionnelle et puriste », partisane d’un anarcho-syndicalisme rigide et radical, principalement représentée par John Andersson. Deux camps finirent par se former autour de ces tendances et les tensions commencèrent à sensiblement fragiliser l’organisation.
En outre, en 1954, la SAC s’engage dans la création et la gestion d’une caisse de chômage, subventionnée par des fonds étatiques à hauteur de plus de 50 %. Mais l’AIT, à laquelle la SAC était adhérente, s’insurge contre ce qui, à ses yeux, n’est qu’une collaboration d’un syndicat avec un appareil étatique. Pour la plupart des organisations adhérentes à l’AIT (seule l’organisation anarcho-syndicaliste hollandaise la soutiendra), la SAC, par la création de cette caisse de chômage, rompait avec les principes de base de l’anarcho-syndicalisme et se mettait en dehors de l’AIT. Pourtant, si elle voulait rester une organisation de masse de travailleurs, la SAC n’avait pas d’autre choix que de se lancer dans pareil projet. En effet, en Suède, les travailleurs ne pouvaient obtenir les indemnités chômage qu’à travers les syndicats et les caisses de chômage qu’ils géraient (c’est encore le cas aujourd’hui). Or, à cette date, la plupart de ces caisses étaient étroitement contrôlées par le mastodonte social-démocrate LO qui se faisait un plaisir d’en empêcher l’accès aux anarcho-syndicalistes de la SAC. Si la SAC n’avait pas mis en place sa propre caisse de chômage, aucun travailleur n’aurait eu vraiment d’intérêt à s’y syndiquer. L’anarcho-syndicalisme, lui aussi, doit pouvoir s’adapter aux réalités locales de son temps.
L’apogée des frictions entre la SAC et l’AIT est atteint en 1958 lorsque – la tendance « réformiste » de Helmut Rüdiger ayant fini par triompher au sein de l’organisation – elle refuse de ratifier une motion demandant à toutes les organisations adhérentes à l’AIT de reconnaître le communisme libertaire comme finalité. Car si la SAC souhaite voir l’avènement d’une société libertaire, elle milite avant tout pour une démocratisation de l’économie, c’est-à-dire « une transmission du pouvoir économique pas à pas des actionnaires aux hommes producteurs », sans intermédiaire étatique ou patronal. Elle considère la mise en place progressive de cette « démocratie industrielle » comme un premier pas vers l’autogestion et le communisme libertaire. Quoi qu’il en soit, la SAC se retrouve exclue de l’AIT.
Affaiblie par ces tensions, la SAC ne cessera de perdre des adhérents. Aujourd’hui, en 2010, elle compterait entre 6 000 et 7 000 membres et connaîtrait un important nouvel essor dans le paysage syndical et politique suédois. Au niveau international, elle travaille régulièrement avec la CNT française, la CGT espagnole, la FAU allemande et l’IWW étasunienne. Son organisation de jeunesse, la FUS, travaille actuellement à la mise en place d’une mutuelle de fraudeurs dans le cadre d’une campagne internationale pour la mise en place d’un service de transports publics gratuits. Mère de l’anarcho-syndicalisme suédois, la SAC a une histoire édifiante et plus que jamais d’actualité. Son refus d’être seulement figé dans des principes théoriques, rigide et réducteur – qui n’engendrent que des groupuscules peinant à devenir de vraies organisations de travailleurs – devrait aujourd’hui éclairer plus d’une lanterne…