Chroniques d’un été cinématographique

mis en ligne le 9 septembre 2010
Tournée de Mathieu Almaric (France, 2010)
On a fait grand bruit de ce film, sans doute à cause du rôle central de Mathieu Almaric, meilleur acteur que cinéaste. Polarisant l’intérêt, il nous détourne de ce qui aurait dû être le vrai sujet : les numéros déjantés de ces danseuses et chanteuses hors normes. Nous n’en avons que de chiches aperçus, de quelques minutes, pas toujours bien filmés.
La personnalité de ces femmes défie les canons de la beauté et de la mode ordinaires. Le baroque de leurs costumes, coiffures et maquillages est déjà une échappée onirique dont on attend qu’elle débouche sur le rêve de la scène, dans un show prolongé. Mais, le réalisateur nous en frustre, meublant le temps et l’espace de propos et de lieux (beaucoup de coulisses et de halls d’hôtels) d’une platitude absolue, malgré l’audace verbale de rares scènes. Les rapports d’Amalric avec ses fils sont un tissu de poncifs, et en dehors d’une ou deux trouvailles dans la bouche des filles, comme « Il faut du temps pour aimer son corps » ou « Tu ne nous as pas fait faire le tour de la vie », les échanges sont sans surprise, au ras des pâquerettes. Le film avorte de n’avoir pas su trouver sa voie : fiction sans intrigue ni vrai dialogue, sans aucun rebondissement, ou documentaire flou, syncopé, dont il manque des morceaux, notamment sur le plan du spectacle. Les protagonistes méritaient mieux ; leur invention personnelle – elles ne veulent pas de metteur en scène et s’en passent fort bien ! – exigeait une réalisation à la hauteur, débordante d’imagination et de folie.

Taking Off de Milos Forman (États- Unis, 1971)
Un chef-d’œuvre d’humour noir qu’on a plaisir à revoir, nous restituant, tels les premiers films iconoclastes de ce réalisateur – dont l’admirable Au feu les pompiers qui le força à s’exiler aux USA –, l’atmosphère des sixies-seventies. On remarque dans cette belle copie restaurée le travail sophistiqué du son et du montage qui permet une superposition de plans : ainsi le crochet musical des apprenties chanteuses fusionne avec la saga familiale, les deux se redoublant dans le piteux et le grotesque.
La plupart des adultes sont laids, desservis par des tenues hors d’âge, caricaturales : les hommes étriqués dans leur costume-cravate, avec des coiffures et des moustaches impossibles, une quadragénaire jouant les baby doll dans une robe courte trapézoïdale.
Ces sursauts pathétiques des parents pour se tenir au diapason d’enfants fugueurs qu’ils ne comprennent ni ne maîtrisent, nous émeuvent par leur impuissance – quelque part la nôtre, à nous héritiers désemparés de 68… Une partie de strip-poker couronne cette quête tragique de sens. Là nous ne rions plus. C’est à un naufrage que nous assistons, manquant d’y être emportés, sceptiques et désolés comme la jeune fille qui le surprend à son retour au bercail. Le personnage du « fiancé », aux allures de contestataire, chevelu et barbu, et qui se révèle être un show-bizeman averti, achève de nous désarçonner et de nous arracher à ce qu’il restait d’épopée et de rêve dans cette décennie historique.

Les petits ruisseaux de Pascal Rabaté (France, 2009)
Encore un film dérangeant autour des amours insolites et de la vieillesse – il semble y en avoir plusieurs actuellement : après La Tête en friche, un autre se prépare avec toute une brochette de stars dont… Guy Bedos.
À rebours du jeunisme ambiant, le réalisateur nous montre la progressive remontée en surface d’un veuf, secoué par la disparition d’un ami qui, d’une certaine façon, lui montre la voie de la renaissance. Là où l’intrigue semble prendre un cours convenu, nous voilà déroutés par la rencontre improbable de ce retraité avec des descendants de hippies vivant en communauté dans la maison de sa jeunesse. Séquence admirable de délicatesse, de beauté et de chaleur humaine. Ce sera le premier palier d’un vrai décollage, sexuel et existentiel, et d’une réorientation de cette vie… qui, telle que la formatait la société, n’aurait été qu’une mort anticipée.
On se serait bien passé des redites des plaisanteries villageoises au café du coin, nullement à la hauteur de la vivifiante dissonance d’ensemble.