L’arnaque taxe carbone

mis en ligne le 17 septembre 2009
En passant devant une raffinerie de pétrole Total quand je me rends au travail, je me dis fréquemment que ma modeste cylindrée pollue bien moins que tout ce qui s’échappe de ses tubulures, et que mon salaire bien supérieur au Smig, n’a rien à voir avec les profits engrangés par la multinationale française. Pourtant, avec le projet de « taxe carbone », Total n’est pas touché, et c’est encore moi qui vais raquer, avec d’autres, smicards compris.
Mais, rétorquera-t-on, c’est « pour le bien de la planète ». Et si ce n’est pas pour le mien à court terme, ce sera au moins pour celui des « générations futures ». Autrement dit, gare à celui qui contesterait la taxe carbone : c’est soit un inconscient, soit un égoïste.
Il ne s’agit pas de nier les problèmes posés par la civilisation automobile et industrielle. Si l’évaluation correcte du « réchauffement climatique » soulève un certain nombre d’interrogations et si, surtout, la relation entre ce réchauffement et des causes d’origine humaine n’est pas entièrement démontrée (malgré ce que certains laissent dire, le consensus scientifique n’est pas entier sur cette question – je parle des scientifiques sérieux), la question se pose de trouver dès maintenant une issue aux pollutions. Mais la « taxe carbone » est-elle une bonne solution, même dans le cadre en place et en admettant qu’il faille réagir en « urgence » parce qu’il y aurait péril et catastrophe en la demeure ? Rien n’est moins sûr, pour plusieurs raisons.
La « taxe carbone » est un nouvel impôt (impôt ou taxe, laissons le distinguo aux exégètes du sexe des anges). Elle va alourdir la fiscalité des ménages, déjà fortement ponctionnés, surtout en période de récession économique, et pénaliser davantage les automobilistes lambda que les gros pollueurs. Elle est donc socialement injuste.
L’idée sous-jacente de ses promoteurs est que les fonds ainsi récoltés iront à la lutte contre la pollution, en particulier contre les activités émettrices de dioxyde de carbone, notamment en rapport à l’automobile. Mais il est aisé de dire que cela ne marchera pas, sans même jouer les Cassandre, car on nous a déjà fait le coup.
En effet, lors de sa campagne présidentielle de 1973, le candidat écologiste René Dumont et, avec lui, la quasi-totalité des écologistes réclamaient une augmentation considérable du prix de l’essence pour faire reculer l’automobile. Plus de trente ans après, non seulement les prix de l’essence ont augmenté d’une façon que ces écologistes n’avaient pas osé penser, mais jamais il n’y a eu autant de voitures et jamais autant de pétrole. Loin de reculer, ces deux-là ont crû, et les profits des multinationales du pétrole en proportion.
En outre, on sait pertinemment, au moins depuis la fameuse histoire de l’ex « vignette automobile » prétendument destinée aux personnes âgées, et sans remonter aux diatribes de Proudhon sur l’impôt, que tous les nouveaux revenus issus des taxes se retrouvent noyés dans un « pot commun » aux mains de l’État qui en use à son gré. Les détournements de fonction sont légions. Les exceptions sont rares. Or, vu la désastreuse conjoncture financière de l’État français, vu l’aventurisme économique de Sarkozy qui lance un nouvel emprunt public, qui garde le bouclier fiscal pour les riches et qui renfloue les banques sans barguigner, il n’est pas besoin d’être un expert en économie pour penser et prévoir que la nouvelle manne de la taxe carbone ira combler quelques trous. Et si jamais des garanties sont obtenues pour plaire à la sensibilité écologiste, elles ne tarderont pas à sauter.
Dans ces conditions, la responsabilité des politiciens écologistes est lourde. Leur stratégie de casser le Parti socialiste ou, à tout le moins, de l’embourber avec cette histoire de taxe carbone fait bien entendu le jeu objectif de Sarkozy qui, en bon tacticien politique qu’il est, n’a pas hésité à sauter sur l’occasion, quitte à malmener une fraction de son parti ou de son électorat. La tenue du chevalier blanc écolo ne lui coûte rien, puisque le populo va payer. Elle peut rapporter gros en abusant le citoyen par une propagande sur le Sarko-agissant, tout en faisant oublier les autres problèmes. Cependant, les compagnies autoroutières, qui continuent de se faire un fric fou après avoir acquis un patrimoine collectif bradé, ne sont aucunement sollicitées pour lutter contre le « réchauffement climatique ». Quant à la « taxe Tobin », celle qui taxerait les flux financiers, et même si son efficacité dans le système capitaliste en place paraît très aléatoire, elle n’est même pas à l’ordre du jour, ni pour Sarko ni pour les écolos. Quant aux problèmes immédiats et concrets, telle que la toxicité des algues vertes issue d’une agro-industrie délirante, ils passent au second plan des discours et des préoccupations politiques. Le tour est joué ! Ceux qui prétendent que la taxe carbone pourra nous faire avancer sur les autres dossiers, soit sont dupes de leur crédulité et de leur naïveté, soit ils nous abusent.
Ce que l’écologisme a rêvé, le capitalisme l’a donc fait, pour lui. Car au-delà de leurs profits, les géants de l’automobile ainsi que d’autres secteurs de l’industrie et de la technostructure réfléchissent déjà sur l’après-pétrole, sur les solutions de transition et les issues. Dans cette compétition, ce sont les firmes les plus entreprenantes et les États les plus innovants qui vont l‘emporter, vendant ensuite au mieux-offrant brevets, labels et autres transferts de technologie. Et tous les coups sont permis. Le « réchauffement de la planète » a largement bon dos.
Cette compétition demande en effet beaucoup d’investissements et d’argent, souvent à fonds perdus. Comme dans tout système capitaliste qui se respecte, ni les dirigeants ni les actionnaires ne veulent voir réduire leurs émoluments et profits. Il faut donc faire payer l’ardoise à quelqu’un d’autre : le bon peuple, qui doit pour cela être sensibilisé aux impératifs écologiques. C’est là que la manipulation est redoutable. Car personne ne peut nier la dégradation des environnements et des modes de vie, l’existence de pollutions lourdes et la difficulté croissante des approvisionnements en énergie ou en matières premières. Mais il faut déplacer vers le citoyen-consommateur la responsabilité des dirigeants politiques et économiques, il faut l’emmener dans la case « électeur », et contribuable. Le principe « pollueur-payeur » est ainsi totalement dévoyé : les principaux responsables de pollution sont exonérés, l’individu lambda est culpabilisé et renvoyé à ses « choix de consommateurs », comme si la palette de ces choix était infinie, facile et ne reposait que sur son comportement libre et responsable d’homo economicus conformément au credo même de la philosophie libérale.
Les écologistes sont grisés par un score électoral récent en oubliant l’importance de l’abstention et la nature particulière d’un scrutin européen où, depuis les débuts de celui-ci, l’électorat se comporte différemment. Cet « oubli » est, bien entendu, alimenté par les médias et le pouvoir qui ont tout intérêt à surdimensionner la sensibilité écologiste, tout en passant par la case Nicolas Hulot, véritable sésame politicien des nouvelles stratégies. Dans la posture « libéral-libertaire » à la Cohn-Bendit, posture qui a d’ailleurs séduit plusieurs intellectuels libéraux pur jus, le « libertaire » est réservé aux mœurs car ça ne mange pas de pain dans une « société libérale avancée », comme disait Giscard. Il ne reste donc plus que le « libéral ». C’est-à-dire que dans la situation actuelle d’un ultra-libéralisme dominant, arrogant et réclamant toujours plus d’aides de l’État, donc de ponctions auprès des salariés, cela revient à conforter le système en place, et par le haut. Les écolos font le lit de Sarkozy au plus mauvais moment. On notera également au passage que les auteurs du rapport préconisant la taxe carbone, Rocard et Juppé, sont des grands spécialistes de la ponction publique. Rocard s’est illustré avec la CSG sensée lutter contre la pauvreté, dont on a vu combien elle avait reculé depuis…
En attendant, on attend toujours une grande politique des transports en commun. Quant aux initiatives par le bas – agriculture raisonnée, Amap, commerce équitable, coopératives, actions directes – elles sont court-circuitées par les grandes stratégies politiciennes. Dans ces stratégies, c’est encore la classe moyenne qui est visée. La combine risque de marcher puisque la tonalité « bobo » compatissant au malheur de la planète est prête au sacrifice, et à entraîner les plus pauvres dans son sillage. C’est pratiquement la même opération politique que celle de l’anti-fascisme où la classe moyenne draguée par le Front national en direction du prolétariat était au centre des enjeux. Ce n’est donc pas un hasard si l’on retrouve le Modem dans les nouvelles stratégies de recomposition politique et autre combinazione, car il est sensé représenter par excellence cette classe moyenne.
À ceux qui disent, au moins sceptiques, que la taxe carbone aurait au moins le mérite de réveiller les consciences écologistes et de les mettre en acte à grande échelle, on peut répondre que c’est un grand pas en avant vers des arnaques de plus en plus lourdes.