Aménager la société capitaliste

mis en ligne le 28 octobre 2010
La mode des alternatives associatives
Il n’y a probablement jamais eu autant d’associations de type « loi 1901 » que de nos jours en France. Qu’elles soient humanitaires, culturelles, sociales, économiques, elles foisonnent un peu partout, portées par une vague de « citoyennisme responsable et participatif » qui croit voir en ces structures un formidable outil pour participer à la vie de la cité. La ruée, toute récente, vers les amaps (association pour le maintien de l’agriculture paysanne) en témoigne parfaitement : nombre d’individus et d’organisations politiques (et même religieuses) s’investissent désormais dans la mise en place de ces organismes qui favorisent, en matière de produits agricoles, les circuits courts. à tel point que certaines d’entre elles – surchargées – se voient obligé de dresser des listes d’attente et de réclamer des lettres de motivation pour les adhésions. Outre les amaps, les associations de vie de quartier connaissent aussi un regain de membres, largement expliqué par cette idée « à la mode » qu’est la démocratie participative : on cherche à s’impliquer dans son lieu de vie, à l’échelle du quartier ou de la ville, en s’investissant dans l’organisation d’événements culturels et/ou la mise en place de projets sociaux. Mais quelle est la portée réelle de ces alternatives associatives sur la transformation de la société ?

Cogestion de l’exploitation et de la domination
Bien que louées de toutes parts, ces alternatives associatives ne sont que des leurres qui, malgré l’adoption d’une vision du monde et de pratiques parfois intéressantes (la volonté de se prendre en main, de gérer ce qui nous concerne, de faire valoir ses idées, d’aider les plus démunis, etc.) se contentent bien souvent d’une activité dépourvue de tout projet émancipateur à long terme. Elles ne sont alors que des pansements délicatement apposés sur les plaies béantes engendrées par l’économie capitaliste et le système étatique. En outre, au-delà de cette absence de projet révolutionnaire, ces alternatives offrent souvent l’illusion d’agir sur la société, de s’investir dans la vie sociale et économique et, par là même, de la transformer. Dès lors, le risque évident, et bien souvent constaté, est que la société finisse par s’habituer à vivre dans ce système profondément inégalitaire et liberticide parsemé d’alternatives qui, au fond, n’y portent absolument pas atteinte. Le citoyen désireux de participer à la vie de son quartier et quelque peu gêné par le monopole économique des grosses industries agroalimentaires, trouve la solution à ses cas de conscience à travers ces alternatives (amaps, associations de vie de quartier, etc.), et bien souvent, s’y limite et s’en contente. On lui fera choisir la couleur du papier WC des toilettes municipales (exemple véridique) et on lui fera sortir quelques billets pour un concombre bio. Rien de plus, il sera dans le moule et ses velléités – fort justes – de gérer son espace de vie seront mises sous le tapis. Ces alternatives sont, en quelque sorte, la « caution sociale et solidaire » d’un système capitaliste qui cherche désormais à s’imposer en offrant aux individus la possibilité de défendre leurs propres valeurs, sans pour autant que celles-ci puissent porter atteinte à l’idéologie dominante. à travers elles, on ne conteste plus notre exploitation et notre domination, mais on s’y associe et on y collabore. Car, en réalité, ces alternatives associatives (à visée sociale comme économique) ne font que renforcer l’appareil d’État, dont elles comblent plus ou moins les carences sans jamais remettre en question son existence (en nous faisant croire que tout cela ne dépend, au fond et avant tout, que d’élections présidentielles).

La lutte des classes au placard
Les alternatives en acte, et autres moutures de ce citoyennisme qui se veut participatif et alternatif, semblent ainsi être devenues la panacée aux maux dont souffre l’humanité. La lutte des classes tombe aux oubliettes ou devient archaïque et vétuste, quand ce n’est pas carrément « ringarde ». On ne désire plus liquider le système capitaliste, mais simplement y aménager des espaces – dits « alternatifs » – de bonne conscience où l’on se laisse bercer par l’illusion de changer quelque chose ou de vivre autrement. On rejoint des associations de vie de quartier, on côtoie les huiles du conseil municipal et autres autorités administratives adeptes de la démocratie participative. On adhère aux amaps, on achète quelques produits bio et équitables, bref, on consomme différemment. Mais, aveuglé par cet engagement « citoyen » et « participatif », on ne lutte plus, on ne se bat plus, on ne grève plus, on ne manifeste plus. à croire que le potentiel de changement – de révolution – n’est plus dans la grève et l’insurrection, mais dans les salons municipaux et le porte-monnaie.

Révolution et alternatives associatives : un pari risqué
Et pourtant, en dehors de cette « mode » associative citoyenniste, on trouve aussi des révolutionnaires qui défendent corps et âme la mise en place de ces alternatives, arguant d’une hypothétique propagation générale qui finirait par submerger l’ensemble de l’économie capitaliste. Un genre d’effet domino, sans doute. Mais, pour sûr, le pari est plus que risqué, d’autant que la plupart de ces alternatives restent tout de même assez éloignées d’une démarche libertaire. Les amaps, par exemple (puisqu’elles sont aujourd’hui l’objet de toutes les ruées), restent profondément ancrées dans une logique marchande, de (petite) propriété privée et ne sont toujours pas parvenues à établir une véritable gestion collective – entre producteurs et consommateurs – de la production. Si elles répondent donc à des soucis d’ordre écologique (le circuit court, la petite production non intensive, parfois le bio, etc.), elles demeurent néanmoins complètement dénuées de solutions à l’inégalité économique et sociale. Au fond, la multiplication des amaps ne changerait pas tellement la donne sociale actuelle. Et il en va de même pour bon nombre d’associations à visée sociale qui, sans jamais contester les fondements même de l’État et du système capitaliste, s’efforcent d’en colmater les failles (ou plutôt, devrais-je dire, les abysses).
Mon propos n’est pas ici de conspuer radicalement ces alternatives qui, sur le court terme, peuvent parfois être salutaires, mais d’en relativiser considérablement les posibilités de transformation sociale. Il serait temps que les milieux anarchistes entament une véritable réflexion sur le sujet pour déterminer le rôle et la place qu’ils devraient y tenir, en tant qu’individus soucieux des tristes réalités quotidiennes, mais aussi en tant que révolutionnaires.



COMMENTAIRES ARCHIVÉS


toto

le 30 décembre 2010
Bonjour Guillaume,
J'avoue que j'ai un peu de mal a concevoir en quoi l'engagement associatif soit opposable a la notion de lutte et de révolution.
Tout dépend bien sur de sa gestion et de son objet, mais c'est un moyen d'organisation qui permet l'action et la mobilisation.
L'alternative et le DIY associatif existent vraiment et sont des actes concret qui paraissent etre tout aussi utile que manifs et palabres.
Vive l'autogestion et la mobilisation!
Hug toto

Guillaume Goutte

le 30 janvier 2011
Salut,

Oui, je suis d'accord. Mais mon propos est moins de condamner fermement certaines "alternatives en actes" que de montrer comment ces mêmes alternatives peuvent être seulement, si elles sont dénuées de perspectives révolutionnaires, la bonne conscience de la société capitaliste, la caution "solidaire", "humanitaire" qui lui permet de se pérenniser, voire de se renouveler (la "mode" du bio et de l'équitable, par exemple, ont créé de nouveaux besoins de consommation sur lesquels se sont construits de nouveaux groupes capitalistes). La place des anarchistes dans ces alternatives serait, à mon sens, d'y apporter des dimensions et des dynamiques révolutionnaires, c'est à cire d'utiliser ce terreau alternatif (forcément un peu contestataire) pour faire éclore l'idée qu'avec de nouveaux comportements, de nouvelles formes de production, de nouveaux rapports entre producteurs et consommateurs, on peut jeter les bases d'une société plus juste, et non seulement se contenter de vivre dans celle-ci et d'apaiser sa colère avec son porte-monnaie.

Guillaume Goutte

bill

le 31 janvier 2011
Si je résume (sans ironie) ton propos, je crois que tu dis : "la révolution n'est pas dans les petites alternatives de tous les jours"...
(peut-être ai-je simplifié ?)

Je pense que tout le monde ne peut être que d'accord avec toi.

Par contre, quand tu dis : "Il serait temps que les milieux anarchistes entament une véritable réflexion (...)", je ne suis pas tout à fait d'accord.
J'ai souvent l'impression que les militants CGA, FA, etc... ne sont pas souvent dans les projets concrets qui se vivent au jour le jour (Squat, etc...). Du moins, c'est ce que j'ai constaté.

En fait, je crois que les Amap, etc... ont de plus en plus de succès car les citoyens sont de plus en plus séduits.
A mon sens, les anarchistes et les communistes convaincus se sont tournés depuis longtemps vers ce genre de pratiques en apportant leurs "idéaux".

Contrairement à toi (mais je ne voudrais pas être hors sujet) je pense que bien souvent les militants libertaires le font sur leur temps libre (une petite manif par ci, une grève par là) alors que leurs pratiques au jour le jour ne sont guère différente du voisin citoyen.