Alliance syndicaliste révolutionnaire et anarcho-syndicaliste : fragments de souvenirs

mis en ligne le 4 novembre 2010
« C’est mon ennemi ! » Ces mots criés par Paolino Malsand résonnent encore dans ma tête. Le camarade était le permanent de la librairie de la Fédération anarchiste à Paris, rue Ternaux. Militant anarchiste espagnol, il avait suivi la Retirada pour s’installer ensuite à Bordeaux où il avait adhéré au groupe Sébastien-Faure de la Fédération anarchiste 1. C’est au début des années 1970 qu’il arriva à Paris. Le sujet de notre altercation : des divergences avec Julien Toublet, ancien secrétaire de la CGT-SR. Dans le local fédéral, nombre de journaux libertaires étaient en vente, j’avais été attiré par Solidarité ouvrière, l’organe de l’Alliance syndicaliste 2. Ayant pris contact avec eux, je me rendis à leur permanence, rue Jean-Robert, à Paris, près de la station de métro Marx-Dormoy. En fait, c’était le local de Révolution prolétarienne 3.
Au sein de l’Alliance syndicaliste, il y avait des camarades de toutes les centrales syndicales. Aussi bien des anciens de la CGT-SR, de la CNT-f, des Cercles syndicalistes de lutte de classe comme Georges Yvernel (alias Bouclette !). C’est en fréquentant, en discutant avec ces camarades « historiques » que je découvris le pourquoi du comment des différends entre Paolino Malsand et Julien Toublet. Outre qu’ils avaient croisé le fer dans les congrès de l’AIT, il y avait le problème épineux du mouvement astato-syndicaliste. Refusant, à la Libération, une certaine mainmise anarchiste sur la CNT-f, ils défendaient leur point de vue dans leur mensuel Mains et cerveau. Ils se situaient à côté du mouvement anarchiste proprement dit. Le camarade Malsand pouvait être qualifié de partisan d’une influence directe de l’organisation anarchiste sur l’organisation syndicale et considérait Toublet et ses camarades comme des adversaires politiques. D’où sa fureur de me voir, moi, militant, tout comme lui, du groupe Louise-Michel de la Fédération anarchiste, se rapprocher d’eux…
À quoi bon rappeler toutes ces choses de plus de quarante ans ? Peut-être pour mettre le doigt sur le temps perdu et les occasions manquées. L’Alliance syndicaliste a toujours plus fonctionné comme une coordination que comme une organisation, du moins est-ce mon avis. Il y avait le mensuel Solidarité ouvrière et les réunions dans le local de la rue Jean-Pierre-Timbaud 4, mais notre but était plus de propager les idées de l’anarcho-syndicalisme que de faire des adhésions. Très tôt les camarades qui militaient à Force ouvrière se mirent à l’écart et reconstituèrent l’Union anarcho-syndicaliste (UAS). Pas mal de militants étaient à la CGT (Livre, métallurgie, bâtiment), mais le gros des troupes était à la CFDT. D’où les critiques des camarades précités qui considéraient que le christianisme social, même avec des références à l’anarcho-syndicalisme, était à rejeter…
Puis avec « l’autonomie engagée » de la centrale du square Montholon, les carottes furent cuites ! Exclusions, mises au rencart, la liste est longue 5. Il y eut donc à l’Alliance syndicaliste un certain essoufflement. Avions-nous eu raison, aurait-il fallu faire autre chose ? Nous avions œuvré au sein de la Coordination nationale des anarcho-syndicalistes (CNAS), dont l’existence fut éphémère. Puis au début des années 1980 se produisit une sorte d’éclatement au sein de l’Alliance syndicaliste. Sous l’impulsion des militantes et militants parisiens, il y eut un rapprochement avec le mouvement anarchiste stricto sensu. Dans la capitale, il y eut d’abord le Gaspar (Groupe anarcho-syndicaliste parisien) 6 puis l’adhésion à la Fédération anarchiste.
Notre analyse était la suivante : avec la parution hebdomadaire du Monde libertaire et la création de Radio libertaire, l’heure était à rassembler les forces, à structurer le courant syndicaliste. Certes l’unanimité n’était pas au rendez-vous… Nombre de camarades de l’Alliance syndicaliste nous ont reproché ce « sabordage » et des camarades de la Fédération anarchiste nous considéraient avec méfiance. La création du groupe Pierre-Besnard en 1981 et la suite des événements ont montré que nous n’étions pas venus faire de l’entrisme.
N’empêche, en ce début de XXIe siècle, il manque toujours une coordination syndicaliste dans le mouvement libertaire français.



1. Il avait aussi eu des responsabilités dans le mouvement libertaire espagnol en Espagne comme dans la Résistance en France puis dans l’exil.
2. On ne disait déjà plus « Alliance syndicaliste révolutionnaire et anarcho-syndicaliste » dans les premières années 1970…
3. La Révolution prolétarienne était une revue bimensuelle syndicaliste révolutionnaire. Organe de la Ligue syndicaliste qui, dans les années 1920-1930, se proposait « de travailler à la réalisation de l’unité syndicale […], de sortir les deux CGT [CGT et CGTU], l’une de l’ornière de la collaboration gouvernementale, l’autre de l’ornière de la collaboration politique [avec le PCF] ». Un des militants les plus en pointe de ce regroupement était Pierre Monatte, délégué au congrès anarchiste d’Amsterdam. Il s’opposa à Errico Malatesta sur la question du syndicalisme. Adhérent au Pari communiste, il en fut exclu… comme d’autres.
4. Le journal était iconoclaste, on critiquait Malatesta, Kropotkine… Aucun article n’était signé.
5. Consultez la brochure de René Berthier à propos de l’Alliance syndicaliste.
6. Dans le Gaspar, on retrouvait des camarades de la CNT dite Tour-d’Auvergne, de l’Alliance syndicaliste et d’autres venus de nulle part !