Pour en finir avec l’exploitation : abolition du travail !

mis en ligne le 14 décembre 1995
Le travail productif est une forme spécifique du travail imposé par le capital. Dans son évolution historique, le capitalisme a progressivement conquis l’espace de la planète, laminé, absorbé, tout travail qui n’est pas productif de profit ; il tend à détruire toute forme de travail qui ne se soumet pas à ses lois, notamment dans les sociétés traditionnelles. Le capital transforme le mode de travail, et tout travail qui lui est soumis devient productif (de profit). Le travail productif est donc un travail qui produit des marchandises, qui produit de la plus-value, et qui reproduit le rapport de production capitaliste, c’est-à-dire qui accroît le capital. C’est un phénomène en expansion.
La multiplication des couches sociales qui se situent en marge du travail productif lui-même rendent de plus ne plus difficile d’appliquer à la société les critères simples qui ont été élaborés il y a un siècle par les premiers théoriciens du socialisme. Des strates sociales, dont le rôle n’est pas très défini, rendent opaque l’observation en termes de classes et surdétermine le rôle de l’idéologie. Bien des catégories de salariés, dont les revenus sont modestes, refuseront de s’identifier aux valeurs de la classe ouvrière, car elles auront l’impression de déchoir.
Les notions mêmes de production et de travail productif doivent être redéfinies. On peut en effet considérer qu’il y a secteur de production de marchandises immatérielles, marchandises qui disparaissent à peine produites : les services, et qui occupent aujourd’hui une place prépondérante. Culture, loisirs, spectacles, voyages, sont des domaines « marchandises » dans lesquels on offre aux clients des « produits ».
Aujourd’hui, la consommation de ces « produits » n’est pas le seul fait de la classe dominante, comme ce pouvait être le cas de la consommation de luxe pour la classe dominante au siècle dernier. Il s’agit de « produits » de masse, accessibles à un grand nombre de personnes. Il n’y a plus dans les pays industrialisés une classe ouvrière qui consomme le minimum nécessaire à la stricte reproduction de sa force de travail, et une bourgeoisie qui s’approprie la quasi-totalité de la richesse produite et se gorge de consommation de valeur d’usage. Alors qu’au XIXe siècle les exclus de la consommation étaient les prolétaires, précisément ceux qui produisaient les biens que d’autres consommaient, aujourd’hui les exclus de la consommation, de plus en plus nombreux, n’ont même plus l’honneur de produire les biens dont ils sont privés.
La course à la productivité qui provoque l’intensification de la concurrence, augmente le rythme d’obsolescence des équipements, donc le besoin de crédit. La rapidité considérable des processus d’innovation est un des éléments de la course à la productivité du capital qui empêche les entreprises d’amortir les nouveaux procédés et d’optimiser l’accumulation des profits. En d’autres termes, bien avant qu’une masse optimale de profits ait pu être réalisée avec un produit, d’énormes investissements sont nécessaires pour mettre en chantier un nouveau produit qui remplacera l’ancien. La rapidité de l’évolution technologique est un frein à la réalisation optimale de profits.
L’argent du « social » constitue aujourd’hui une énorme source d’accumulation, dont les affaires de détournements et de fausses factures ne sont que la partie la plus visible. Le budget de la sécurité sociale par exemple est bien supérieur à celui de l’État. Mettre la main sur cet argent devient un enjeu colossal. C’est précisément ce qui se passe en ce moment.
Les sommes colossales versées sous forme de cotisations, salariales ou patronales, dans les équipements sanitaires, sportifs, culturels, le logement…, que ce soit au niveau national ou international (la prétendue aide au tiers monde), ont vite fait de tomber entre les mains du capital financier, grâce aux placements spéculatifs à court terme qui sont effectués, dont les revenus disparaissent dans la nature (mais par pour tout le monde).
Le salariat n’est qu’une forme historique de rémunération de la force de travail, et, plus généralement, ce n’est qu’un rapport social inscrit dans une période donnée, qui n’a pas toujours existé et qui n’existera probablement pas toujours. Le salariat comme rapport social n’a lui-même pas toujours existé dans sa forme actuelle, il a subi des modifications et des évolutions. Il n’apparaît véritablement qu’avec le développement du mode de production capitaliste et, au-delà de la rémunération de la force de travail, il est aussi l’imposition sur des populations qu’on a souvent obligées à travailler dans des fabriques, par la violence la plus inouïe d’un mode d’existence fondé sur l’obligation du travail, la discipline, la hiérarchie. Plus le travailleur devient « libre » au sens libéral du terme, plus il devient aliéné à son mode de vie. Ainsi, le salariat n’est pas seulement un mode d’exploitation de la force de travail, il est aussi un mode de domination sur l’homme.
Si le travail constitue encore aujourd’hui la principale détermination du salaire, curieusement, plus le salariat s’étend comme mode de rémunération, plus il est déconnecté du travail. Le pré-retraité, le chômeur, le RMIiste, le contrat emploi-solidarité ont un statut qui est défini par référence à leur qualité de salarié, ou d’ex-salarié, même s’ils ne touchent pas grand-chose… En même temps, se développent dans la réalité du travail des relations pré-salariales, qui ressemblent étrangement au servage. On demande en effet de plus en plus aux salariés d’effectuer une quantité de travail supérieure à ce pour quoi ils ont été embauchés, sans compensation pécuniaire, évidemment. Ou encore, on les embauche avec un maigre salaire, mais le travail effectif qu’ils font est nettement plus qualifié que celui pour lequel ils sont payés. La contemplation des exclus qui « rodent » dans la rue suffit en général pour faire taire toute protestation, ce qui prouve que le RMIstes, SF et autres chômeurs jouent un rôle déterminant dans le système. Dans ce contexte, ce sont tout d’abord les femmes qui sont touchées par des réductions d’emplois, et celles qui s’acharnent à chercher malgré tout un travail se voient les premières proposer des emplois sous-qualifiés, subalternes, sans statut, sans garantie. Le chômage grandissant crée des réactions inconscientes de rejet des femmes, que l’on considère comme des concurrentes des hommes face au travail. Une femme qui travaille est perçue comme quelqu’un qui prend l’emploi d’un homme qui a charge de famille. Une telle situation engendre des rapports hommes-femmes qu’on espérait en voie de disparition, des rapports de domination, que ce soit dans ou en dehors du couple.