Le 5e congrès de la Confédération paysanne

mis en ligne le 7 janvier 1993
La Confédération paysanne a tenu son 5e congrès les 9 et 10 décembre derniers à Dardilly, banlieue bien sage de l’agglomération lyonnaise.
Ambiance très conviviale, présentation de différentes productions des terroirs par et pour les 300 délégué(e)s représentant 40 000 adhérents. La bonne humeur et le look débonnaire n’empêchaient pas les militant(e)s de bien connaître leurs dossiers, les chiffres et les enjeux politiques fondamentaux qui se nouent actuellement pour l’agriculture.
Pendant deux jours, les accords du 21 mai (sur la politique agricole commune) et du 19 novembre (sur le GATT) ont été passés à la moulinette et ont été analysés pour ce qu’ils sont, à savoir « une logique libérale qui va à l’encontre des objectifs fondamentaux des paysans et de la société toute entière ».
Avec pertinence, la Confédération paysanne nous rappelle que les produits agricoles réellement présentés sur le marché mondial ne représentent qu’à peine 10 % de la production totale des biens alimentaires. Cela laisse largement la place à la définition de politiques agricoles propres à chaque région ou pays. Effectivement, il n’est pas obligatoire que « le monde soit un vaste marché, ouvert à tout vent, en particulier aux pays riches et les plus forts ».
Pour les délégué(e)s, il est urgent de définir une politique agricole qui « réponde aux besoins de nourriture de qualité et à la nécessité de garder un espace rural vivant ».
Se référer sans cesse aux prix mondiaux est une duperie. Personne ne peut produire à ces prix. Ce sont des prix de dumping social et écologique, obtenus au mépris du statut social des paysans, à grands coups de destruction des sols et des forêts et de toute agriculture vivrière. Seules les grandes puissances peuvent compenser et subventionner leurs exportations.
Les débats ont permis de cerner toute une série de décisions du Conseil des ministres européens contribuant à accélérer la concentration de la production, au bénéfice des plus gros et riches, au détriment des plus petits et pauvres : aide régionalisée à l’hectare, aide à l’irrigation, gel des terres, baisse de 15 % du prix de la viande, mode de calcul des droits à prime vaches allaitantes, absence de transparence dans la gestion des primes.
Petit à petit, les régions pauvres se vendent aux régions riches, des paysans se vendent à d’autres et pour la Confédération paysanne, par delà la répartition de la production, c’est l’aménagement du territoire et la protection des paysages qui est en jeu.
L’agriculture paysanne, revendiquée par les congressistes, repose sur une véritable organisation de la production, moins intensive, mieux adaptée aux terroirs, se basant sur la qualité des produits, déconcentrée.
L’agriculture paysanne est déjà un choix et une réalité pour ces éleveurs qui abandonnent des pratiques intensives pour se recentrer sur l’élevage à base d’herbe, pour ces céréaliers qui réduisent leurs traitements phytosanitaires, leurs épandages d’engrais… et qui maintiennent, et même améliorent, leurs revenus.
Bien entendu, ces expériences ne doivent pas servir de bonne conscience et d’alibi mais être des points d’appui afin de redéfinir une politique pour les paysans et l’espace rural dans sa globalité. Ni dortoir ni musée ni réserve, l’espace rural doit être porteur d’activités permettant une vie normale, ce qui implique une politique des transports, de l’éducation, de la formation…
Cela saute aux yeux, les critiques sur l’organisation capitaliste de la production agricole et le projet alternatif d’une agriculture paysanne ne peuvent laisser les anarchistes indifférents parce que, comme nous, la Confédération paysanne élabore sa réflexion à partir des besoins sociaux.
Il n’est donc pas étonnant qu’aucun ministre n’ait jamais reconnu la représentativité de la Confédération paysanne, qui fait quand même 20 % aux élections des chambres d’agriculture.
Pas étonnant non plus que ces militants soient l’objet d’une attention particulière des flics et des juges (en particulier dans l’Eure, l’Aveyron, le Doubs, le Maine-et-Loire, la Vendée, la Loire-Atlantique, la Haute-Marne…).
Pas étonnant, évidemment, que Soisson, actuel ministre de l’Agriculture et du Développement rural, n’ait pas répondu à l’invitation à participer aux travaux de leur congrès. Un sous-fifre a fait l’affaire, et son intervention a été copieusement chahutée.
Mais y a-t-il quelque chose à attendre de la part de ceux qui organisent l’exploitation et la misère sociale ?
En ce sens, les appels de la Confédération pour que les ministres européens s’engagent à prendre des mesures favorables au monde paysan font plus penser à des exercices de style qu’à une réelle possibilité de « négociations » et ont d’ailleurs laissé les militants plutôt sceptiques.
La dernière intervention des congressistes est parfaitement révélatrice de leur état d’esprit : c’est sur le terrain, dans les pratiques sociales et alternatives, en développant l’entraide et la solidarité entre paysans, en nouant et en développant les liens avec les consommateurs, dans l’action, que peut se développer un rapport de forces, seul capable de modifier le cours des choses.

Bernard, groupe Déjacque (Lyon)



N.B. : les citations sont extraites du discours de clôture de Gabriel Dewalle, porte-parole de la Confédération paysanne.