Urgences à l’hôpital Tenon, ou le démantèlement des hôpitaux

mis en ligne le 9 décembre 2010
1616Tenon9 novembre 2010, sixième semaine de grève à l’hôpital Tenon (Paris 20e). J’étais passée aux urgences la semaine précédente : une dizaine de patients alités y étaient parqués dans l’entrée dans une très forte odeur d’urine. À disposition, à l’accueil, un seul aide-soignant, complètement débordé, répondait au téléphone alors que quatre personnes attendaient. Au bout d’un quart d’heure, un jeune homme, dépassant la file, lui demande simplement où il pourrait voir sa mère qui vennait de faire une tentative de suicide. Ce n’est heureusement pas le quotidien des urgences de Tenon, mais au témoin de cette soirée-là, les panneaux, banderoles, autocollants, affichage concernant la situation désastreuse des conditions de travail à l’hôpital, pouvaient avoir une certaine signification…
Le personnel des urgences avait déjà fait grève en décembre 2009, ce qui avait donné lieu à quelques améliorations, comme l’obtention de matériel, de brancards et de… 450 euros de prime exceptionnelle…
La réponse sur le manque de personnel a par contre été biaisée. L’engagement formel concernant la présence de six infirmiers et de six aides-soignants en matinée, après-midi et nuit a certes été tenu, mais le personnel embauché l’a été en intérim, et c’est là une grande partie du problème à Tenon.
Les missions longues en intérim ne sont pas pratiquées pour les hôpitaux, et les personnels engagés à la journée ne sont pas formés aux fonctions précises qu’ils doivent occuper. Ils ne connaissent ni le service où ils débarquent, ni les patients dont ils doivent s’occuper, ni les logiciels utilisés. Dans ces conditions, ils allègent difficilement le travail de leurs collègues qui doivent les former, ou du moins les guider.
Aujourd’hui, on peut donc encore lire partout dans l’hôpital la dénonciation de ces conditions d’embauche précaires (l’intérim, mais aussi les CDD). Il manque officiellement 58 infirmiers diplômés d’État, mais d’après Hervé, délégué syndical Sud-Santé, qui questionne régulièrement, avec l’aide d’autres délégués syndicaux, les services de l’hôpital, il s’agirait de plus d’une centaine de personnes manquantes pour assurer de bonnes conditions de travail et éviter davantage de fuites du personnel.
Depuis début octobre, date à laquelle la grève a repris, 250 personnes étaient quotidiennement déclarées en grève, qui toutes étaient assignées à travailler, ce qui, ironie de la gestion du personnel, augmentant les effectifs, améliorait considérablement l’offre de soins, d’après le témoignage d’une infirmière.
Après plus de quatre semaines d’assemblées générales deux fois par jour, et de piquets de grève quotidiens, la grève a pris une autre direction, en s’appuyant davantage sur le travail des délégués syndicaux et sur des actions, par exemple les réquisitions des lits vacants…
Le vendredi 5 novembre, des infirmières des urgences se sont également mis en arrêt maladie, d’autres ont utilisé le droit de retrait, utilisé exceptionnellement lorsque les conditions de travail sont jugées trop risquées pour la santé et parfois pour la survie des personnels aussi bien que des patients.
Suite à cela, la direction étant obligée de remédier au problème, une réunion extraordinaire du Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a été organisée, à laquelle la direction n’a pas donné suites.
Le 15 octobre, le directeur de l’hôpital s’était engagé oralement à recruter 33 infirmiers, 13 aides-soignants, cinq manipulateurs en radiologie et deux techniciens de laboratoire. Mais depuis, rien de tout cela n’a à ce jour été fait. En guise de solution, a priori temporaire, un représentant de la direction politique médicale (DPM) est venu rencontrer les chefs de service pour demander la fermeture de lits et une baisse de l’activité…
Si une telle solution était appliquée, il est à parier qu’elle pourrait se prolonger à l’infini… Il a donc reçu un refus catégorique de l’ensemble des chefs de service d’appliquer une telle proposition.
Cela fait cinq ans que Tenon est soumis à un régime sec catastrophique et est maintenu dans une rigueur budgétaire qui lui vaut d’avoir le point Isa (le mode de calcul dépenses/recettes) le plus faible de l’Assistance publique des hôpitaux de Paris (AP-HP) depuis quelques années. Autrement dit, il arrive à être un très bon élève, en termes d’efficacité budgétaire, en se serrant très fort la ceinture, et aux dépens de l’embauche et de la santé du personnel en place.
Il est à rappeler également que l’hôpital est à la pointe de domaines comme l’oncologie ou la dialyse, secteurs tout particulièrement lésés et surtout en lutte.
D’autres hôpitaux sont également très mobilisés. Le personnel d’Antoine-Béclère, à Clamart, par exemple, est en grève générale et a occupé les locaux administratifs pour protester contre la fusion de leur hôpital avec Bicêtre et Paul-Brousse, qui se traduira par le dépeçage des services, des dizaines de suppressions d’emplois et la délocalisation des centres de décision.
C’est toute une politique de restructuration et de regroupement de pôles qui est en jeu ici et valable pour tous les hôpitaux de l’AP-HP. Le démantèlement des services a déjà commencé à Tenon avec la fermeture de son centre d’IVG l’année dernière.
La fédération des revendications au niveau des hôpitaux de Paris reste malheureusement compliquée, tant il y a déjà à faire au niveau d’un seul hôpital. Cependant, au niveau interprofessionnel, les enseignants, les éboueurs, les personnels soignants, les cheminots, les lycéens et les étudiants ont eu l’occasion de défiler ensemble lors de deux manifestations au mois d’octobre.

Bérénice Kelles