La télévision en débat

mis en ligne le 27 janvier 2011
En moyenne, les Français sont devant leur télévision trois heures par jour. Métro, boulot, télé, dodo. Ce n’est pas perdre sa vie à la gagner, c’est la perdre tout court. La télévision remplace la réalité du pourrissement de l’être par l’illusion de toute puissance. Cul dans son fauteuil, le non-être a accès à la totalité de ce monde falsifié de manière ininterrompue. La télévision formate notre imaginaire, chacun a les mêmes idoles, la même inculture, la même désinformation (mais rassurez-vous, si vous payez, vous aurez le choix entre une centaine de chaînes identiques). Croire que la télévision n’a aucun pouvoir sur nous, c’est avoir les yeux en face d’un trou de balle. Elle n’agit pas seulement en tant qu’anesthésiant ; une fois sous son contrôle, elle vous défoncera à coups de matraque. Zoom-cut-panoramique-cut-musique-peak-travelling-cut-explosion-cut-coup de fusil-cut-pif-paf-pouf-cut… Cette logique du mouvement perpétuel et du changement permanent d’un vide pour un autre, Peter Watkins l’a appelée la « monoforme » 1 (une forme unique qui se retrouve dans l’ensemble des médias audiovisuels de masse). Cette esthétique, peut-être bien plus que les experts de la non-pensée vantant les mérites du marché à longueur de journée, propage le culte de la vitesse et de l’abondance. Les plans durent entre deux et sept secondes en moyenne et l’image est en mouvement quasi-perpétuel. Or pour penser il faut du temps, et une telle esthétique ne permet pas, ou si peu, de penser les images, d’y appliquer sa propre subjectivité. La monoforme pense à notre place et ne nous fournit que des stéréotypes. Quels effets sur notre imaginaire, notre comportement, notre rythme de pensée, notre capacité de concentration, notre capacité à penser par nous-mêmes ? La monoforme est un des principaux outils du maintien du non-être dans la frénésie de la consommation. C’est l’humain et la planète qui en subissent les conséquences. La télévision aurait pu être art, essai, lien entre les humains, mais léchant les couilles de la rationalité économique, elle a « vendu ton cerveau à Coca Cola » (citation de Patrick Le Lay, philosophe).
Faisons un ralenti sur la scène précédente. Après une introduction musicalement dramatisante et visuellement au-delà de notre compréhension (les jingles, avec leurs effets de lumière et de 3D, n’apportant ni sens ni réflexion, n’ayant d’autre fin que l’apologie de la surenchère, du toujours plus et de la débauche visuelle) : plan rapproché, fond visuel de sérieux absolu, le sinistre de la Vérité nous parle. Ce qu’il nous dit est incontestable, il possède l’omniscience, sa manière de s’exprimer est celle que nous devons adopter, son aspect nous montre ce à quoi nous devons ressembler. Puis comme par magie nous voilà transportés à cent lieues de là ; un être invisible nous expose la situation qu’à chaque fois des êtres de chair viennent vulgairement répéter (hiérarchisation du savoir), si honteux d’eux-mêmes qu’ils n’osent pas nous regarder dans les yeux (hiérarchisation de la relation au spectateur). Puisque l’objectivité est impossible, logique de soumission au capital ou non, on va en créer l’illusion. La télévision se représente comme supérieure, et donc nous représente comme inférieurs. Par des artifices de l’esthétique, elle va renforcer la hiérarchie incontournable de la communication à sens unique (inhérente d’ailleurs à tous les médias), là où la décence voudrait justement que cette hiérarchie soit combattue en laissant un maximum de place à la subjectivité du public.
Autre scène : le sinistre de la Culture, dans une émission de téléachat, toujours plan rapproché, nous parle et en arrière plan, uniformisé par la lumière artificielle, le public, méprisé mais grappillant tout de même quelques miettes de pouvoir car il « passe à la télé ». Il a dû se conformer au paraître officiel (la vision publicitaire de l’humain) pour paraître officiellement (on met toujours les jeunes et beaux au premier plan du fond, les autres au fond du fond). Son silence, sa passivité, ses applaudissements et ses rires sur commande nous indiquent non seulement comment nous conduire devant les prêtres télévisuels, mais plus largement, la télévision est un puissant outil de maintien dans la soumission par l’image qu’elle donne de nous-mêmes et à laquelle elle souhaite nous conformer.
Lutter simplement contre la télévision semble illusoire, elle a investi l’espace public, sa logique a contaminé l’ensemble des médias (informations et culture poubelles, choix de certains non-sujets et non-choix de certains sujets). La monoforme se retrouve même dans certains films engagés et inversement le spectacle télévisuel fait tout pour récupérer la subversion.
Comment la télévision récupère-t-elle la contestation pour en faire un spectacle ? En quoi le formatage télévisuel crée-t-il une illusion d’objectivité ? Nous en discuterons jeudi 3 février au Forum Léo-Ferré d’Ivry, ouverture des portes à 19 heures, entrée libre.

Nicolas
Sympathisant au groupe d’Ivry de la Fédération anarchiste


1. Peter Watkins, Media Crisis, Homnisphères, 2004