À ma zone…

mis en ligne le 3 mars 2011
Il y a des biographies chiantes, il y a des biographies tout court et puis il y a celles qui sortent du lot : et quand c’est le cas, c’est du véritable bonheur. À ma zone de Claudine Lebègue, également chanteuse et accordéoniste appartient à cette dernière catégorie. Comment mettre de la poésie dans la zone ? Son bouquin est une succession de saynètes toutes plus fraîches et vivifiantes les unes que les autres. Jamais de baratin, le style est direct, les histoires courtes et fortes en couleur. En parlant de couleur, on croirait des petits tableaux, des croquis, des bribes de vies, on a l’impression d’être un copain assis en face d’elle et à qui elle fait regarder les photos de son enfance qu’elle vient de sortir d’une boîte à chaussures. La photo, chez Claudine, c’est familial. Ses parents sont photographes et en 1959, quand elle a trois ans, ils se séparent. Tout est bon pour éviter les ravages de la séparation et sa mère qui pleure quand elle évoque le nom de son père, de ce jour, elle apprend à mentir. Sa mère, ses deux frères et sa sœur atterrissent à Villeneuve-la-Garenne, en banlieue nord, « banlieue pourrie, banlieue chérie », calée entre Saint-Ouen et Saint-Denis, enterrée entre le cimetière des chiens et le cimetière des rois de France ! « Là, les HLM ont grandi comme des gosses mal nourris. Trop vite, trop grands, trop maigres, trop gros, avec des carences de verdure et des mauvaises couvertures pour l’hiver. » Au milieu, il y a le terrain vague, « la fortune du pauvre ». Claudine y joue aux billes, elle adore, elle en a toujours plein les poches. Il y a plein d’autres jeux pour cette petite fille « Bouboule » garçon manqué et très joyeuse : faire pipi debout comme les garçons, essayer de couper les antennes des escargots, jouer au mécano, crever les yeux d’un nounours qu’elle trouve moche… Quand les bêtises sont trop grosses, il y a le nerf de bœuf qui cingle les jambes de ses frères et sœur, comment s’en débarrasser ? La fratrie décide un jour, radicale et unie, de le casser en deux et de le jeter dans le vide-ordure, mais il reste coincé entre les étages. Le dimanche, la famille se rend à pied aux puces de Saint-Ouen (5 kilomètres à travers la zone). Son marchand préféré est le marchand de dentiers, très roses, rose vif, avec des crochets comme des hameçons au bout… Parfois, il y a les vacances loin de Paris. Une fois, Claudine part à la campagne, où une fermière veut l’embrasser de force sur la bouche : elle sent le beurre moisi et la poule morte… Peu portée sur la chose, elle a plus tard l’occasion de choisir entre faire l’amour ou s’acheter une mob. Elle choisi la mob. Il y a aussi les vacances récurrentes en Bretagne : pas loin et économiques ! Mais, on s’y caille les miches dans l’eau glacée, et l’année où il pleut tous les jours pendant deux mois, que faire d’autre que de jouer aux cartes toute la journée ? Super ! (j’ai également connu cela au même âge et à la même époque). En grandissant, Claudine fait sa première fugue en Auvergne, personne dans sa famille ne la recherche et quand elle rentre dans son HLM elle ne se fait même pas engueuler ! Surnommée « Bébel », estampillée banlieusarde, avec Formica, mange-disque et mini K7, elle est cancre en tout, se bat avec les profs, sèche les cours. La sentant partie sur la mauvaise pente, son père la pousse à « faire quelque chose ». Et c’est l’accordéon qui entre un soir dans sa maison et dans sa vie. Il est là, tout blanc « comme moi », tout plein de boutons, « comme moi ». Avec sa petite carlingue dorée sur les bords, avec son jupon plissé rouge au milieu des bretelles « qui donnait envie d’écarter pour voir ». Ensuite, il n’y a plus qu’à attendre impatiemment la majorité, ses 18 ans. Quand ils arrivent enfin, Claudine se coupe les nattes, lâchant les copains, les copines, la famille : enfin libre et enfin seule… avec l’accordéon. En épilogue, elle recommande à tous les zonards, qu’ils soient d’Algérie, de Bretagne ou de la petite ceinture : « Quand tu arrives dans une cage à lapins au milieu de rien, t’as rien à préserver, t’as rien à cacher, pas de meuble à cirer, ni de tombe à arroser : t’as que toi à planter ! » Enfin un bouquin sur la zone, une histoire simple, tellement rafraîchissante et décalée, à faire rêver les enfants de bourges !