Luna a choisi

mis en ligne le 31 mars 2011
Le titre croate est Na Putu (« Être en chemin vers quelque chose »), et peut évoquer une recherche spirituelle. Cette spiritualité irradie de l’amour que se porte Luna et Amar.
La réalisatrice, Jasmila Zbanic, (celle de Sarajevo, mon amour, couronné par l’Ours d’or du Festival de Berlin en 2006) par des scènes intimes, osées même, par rapport à nos standards français, jusque dans le cabinet de toilette, ressurgissant d’une façon insistante dans une conversation entre amis, nous montre combien la fusion charnelle a à voir avec la transcendance, mais une transcendance profane, libre, dans le mouvement de la modernité.
Les transcendances peuvent s’exclure l’une l’autre : quand Amar, renvoyé de son travail à la tour de contrôle de l’aéroport pour avoir bu un verre de vin, se laisse séduire par les harmoniques d’une communauté wahhabite dirigée par son ancien compagnon de guerre. La religion va entrer en conflit avec l’amour et surtout la sexualité dont, à la grande déception de sa compagne, Amar va se détacher.
Jasmila Zbanic reconnaît n’avoir aucune sympathie pour les fondamentalistes, et dit se garder de vouloir en faire un tableau à charge.
Certes, dans ce petit monde installé en pleine nature, les femmes sont voilées et strictement séparées des hommes mais on n’y parle que de paix et d’amour et les chants sacrés, repris à la mosquée de Sarajevo et vantant tous les plaisirs terrestres chastes dispensés à l’homme par Allah – en particulier les vies des plantes et des animaux – participent à une sorte d’envoûtement.
Pour le naïf et le faible qu’est Amar, encore traumatisé par la guerre, et incapable de surmonter l’épreuve de sa suspension professionnelle, l’illusion de pouvoir s’en remettre à d’autres de ses fardeaux, de se laisser porter par une structure convaincante, est plus forte que sa raison ; et quoi qu’il dise de sa passion pour Luna.
Le choix final de celle-ci malgré son attachement et son désir d’enfant : se faire avorter et s’éloigner d’Amar le temps qu’il se ressaisisse et revienne à elle – ce qui est le mot de la fin – est évidemment le seul juste et féministe malgré l’arrachement douloureux qu’il exige.
Ce parti pris d’évoquer les liens entre trois univers : la guerre de Yougoslavie, l’islam et l’amour aboutit à une œuvre tout en finesse, en nuances, illuminée par la radieuse actrice qu’est Zrinka Cvitesic.
Des images en contraste ; comme cette marche alerte des hôtesses à côté des commandants de bord et où éclate chez ces femmes le bonheur du métier, de la vie publique, alternant avec les scènes conjugales de plus en plus froides et orageuses ; ou les séquences de boîte de nuit (un peu répétitives) succédant aux séances de prières collectives.
La traversée du ciel par l’avion qui rythme l’action, tout comme la vue de Sarajevo depuis l’appartement, dilate symboliquement l’espace, fracasse le carcan conjugal et communautariste.
On peut reprocher au film, du fait de sa construction et de sa complexité d’intentions, d’effleurer les thèmes plus que de les creuser et d’éviter d’afficher certains choix.
à cette interrogation : la conversion d’Amar est-elle de quelque façon compatible avec la vitalité et le modernisme de mœurs de la jeune génération ? Le spectateur se trouve chargé de répondre… ce qui le renvoie à l’état du monde actuel, et aux chances de le voir basculer vers ce que nous considérons comme le bon côté : la liberté, la laïcité et l’égalité...