En économie, Marx a (parfois) raison

mis en ligne le 7 avril 2011
Si l’on veut comprendre la situation actuelle de la France et de l’Europe, il faut en passer par un détour marxien, à savoir la primauté des forces productives et de la production. C’est celle-ci qui dégage la valeur ajoutée (VA) du pays : production interne, agricole et industrielle, consommée dans le pays ou exportée, plus l’exportation à l’étranger de services produits par le travail des résidents. Les services utilisés dans la production sont évidemment incorporés dans la valeur ajoutée de la production comme consommations intermédiaires d’intrants. Cette valeur ajoutée est ventilée entre les différents acteurs sociaux : les rentiers (ceux qui disposent d’un monopole propriétaire sur un bien ou actif comme la terre ou les immeubles ou des ressources de sous-sol), les salariés avec leur travail, les entrepreneurs avec leur profit, les actionnaires avec la part du profit qui leur revient sous forme de dividendes, les banquiers et autres prêteurs avec les intérêts. D’où le conflit principal entre ces acteurs pour le partage de la valeur ajoutée nationale au sein du mode de production capitaliste, dont les rapports de production entre propriétaires des moyens de production, qui utilisent et dominent les forces productives collectives dans une appropriation individuelle de leurs fruits, et le salariat sont conflictuels par nature.
Il faut bien voir aussi que c’est la valeur ajoutée qui permet de financer la protection sociale (salaires indirects ou différés), les garanties pour le salariat et la population et les services publics via des cotisations et des impôts prélevés sur ladite valeur ajoutée. Les consommations de service (coiffeur, garagiste, etc.) ou de loisirs et de biens culturels (cinéma, théâtre, spectacles, DVD, etc.) ne sont que des attributions d’une part de la valeur ajoutée consentie au salariat dans l’ensemble de ses consommations. Une autre part réside dans l’épargne.
Il convient donc de distinguer la production de la répartition, laquelle est double : en amont entre les acteurs, en aval comme affectation par chaque acteur de sa part de VA à ses consommations. On observe déjà que le capitalisme financier a fait réduire la part salariale de la VA d’environ 8 points en faveur des revenus du capital et du patrimoine. On doit surtout noter que sans VA, par manque de production et d’industrie, il n’y a plus de protection sociale et de services publics possibles.
C’est pourquoi on déplore que la part de l’industrie dans le PIB en France soit lentement descendue à 13 % en 2009 (22 en 1998, 29 en 1982) contre 16 en Italie et en Grande-Bretagne et 30 en Allemagne. De même, la part de marché française à l’international a été divisée par 2 en dix ans pour chuter à 3,8 %. On sait aussi que le déficit de la balance commerciale du pays est de 51,4 milliards d’euros contre un excédent de 153 en Allemagne en 2010. Parallèlement le déficit budgétaire a été de 150 milliards et la dette publique est montée à plus de 1 500. Solution tsarkozyenne : serrer la ceinture du peuple pour remettre le déficit à 3 % du PIB en 2013 contre près de 8 en 2010. Comment en est-on arrivé à cette piteuse désindustrialisation commencée en 1983 avec le tournant socialiste de la rigueur ?
C’est dû au choix effectué par les élites françaises, à commencer par celles de « gôche », de la haute mer du libéralisme commercial, de la finance mondialisée, de la déréglementation, de la monnaie forte, du primat des firmes multinationales sur le tissu industriel de moyennes entreprises, etc. Ce choix s’est fait par le biais de la construction européenne dans laquelle la souveraineté française a été abandonnée au profit du grand marché concurrentiel, libre et non faussé et des pleins pouvoirs conférés à la technocratie hyperlibérale de la Commission de Bruxelles. Pourquoi ce choix ? Parce que les soi-disant élites ont toutes sucé la mamelle de la doctrine libérale à Sciences Po et à l’Ena. De plus, elles sont devenues individualistes, peu soucieuses de l’intérêt général car pantoufler dans des ex-entreprises publiques françaises privatisées permettait de quintupler, au bas mot, son salaire. C’est pourquoi il fallait privatiser et liquider le secteur public en s’abritant derrière les directives de Bruxelles sabordant lesdits services publics au profit du privé et du tout-marché.
Dès 1983, tout a été déréglementé : suppression de l’indexation des salaires sur les prix, libre circulation mondiale des capitaux, suppression des avances (à taux d’intérêt limité à l’inflation) de la Banque de France à l’État (sous Pompidur en 1973, puis Fiscard Déteint en 1976 ; cela a forcé à emprunter à l’étranger et permis de verser depuis lors 1 200 milliards d’intérêts, soit l’équivalent de la dette publique en 2007), droit pour une firme de racheter ses propres titres afin de gonfler le dividende par action restante, autorisation des fonds spéculatifs et des LBO, stock-options, OPA ou OPE payée avec ses propres titres au lieu d’argent frais, droit des banques universelles (dépôt et investissement) de spéculer, lois en faveur de la grande distribution, suppression des dotations des services publics ainsi obligés d’emprunter sur les marchés, comptabilité au prix de marché, etc.
Dans ce contexte libéré, les multinationales purent s’en donner à cœur joie. Elles investirent en Chine et autres pays à bas coûts (sociaux, salariaux, environnementaux, fiscaux) ou y firent appel à des sous-traitants ou y achetèrent low cost pour importer en France. Cela avait l’avantage d’empêcher la baisse du pouvoir d’achat liée à l’appel à l’énorme « armée industrielle de réserve » des PVD. Cela a été accompagné chez les Anglo-saxons du crédit revolving à tout va, notamment immobilier ; d’où le déclencheur de la crise des subprimes.