La santé publique, ou ce qu’il en reste

mis en ligne le 28 avril 2011
L’hémorragie de l’hôpital public
Depuis quelques années, le gouvernement a délibérément organisé la faillite financière des hôpitaux publics, en laissant filer leurs déficits pour cause de sous-financement : 189 millions en 2006, 479 millions en 2007, environ 1 milliard en 2008, soit des déficits multipliés par 5 en deux ans. De fait, la dette des hôpitaux grimpe aussi en flèche : 201 milliards en 2008 contre à peine 8,2 milliards il y a dix ans. Pour combler son déficit, chaque hôpital a dès lors l’obligation d’appliquer un plan de restructuration. En conséquence, pour la première fois en 2009, les hôpitaux publics ont perdu 1 800 emplois en France. Et ce n’est qu’un début, puisque compte tenu des déficits structurels des hôpitaux publics (pour cause de sous-financement), ce sont 20  000 emplois qui risquent d’être supprimés d’ici 2012 selon la Fédération hospitalière de France. Au menu du plan de restructuration 2012, ce sont, par exemple, 4 000 suppressions de postes qui sont prévues d’ici 2012 en région parisienne, 800 postes supprimés d’ici 2013 (déjà 200 en 2009) en région lyonnaise, 650 postes prévus (soit près de 10 % de l’effectif) au Havre, 208 à Caen, etc.
Dans le même temps, la loi Bachelot a renforcé la place des cliniques privées qui devraient largement profiter de la saignée de l’hôpital public pour gagner encore des parts de marché. Or, la France a déjà le record d’Europe pour la part du privé lucratif dans l’activité hospitalière : 34 % contre 25%  en Allemagne et en Italie et même 0 % en Belgique et aux Pays-Bas, car le privé lucratif y est interdit. D’ores et déjà, dans 70 villes françaises, le secteur privé est en situation de monopole sur certaines spécialités de chirurgie, ce qui oblige les patients à subir des dépassements d’honoraires non remboursés (66 % des dépassements pratiqués en cliniques ne sont pas couverts par les complémentaires santé). Le taux de rentabilité des cliniques privées atteignait 16 % en 2005, permettant la distribution d’énormes dividendes à leurs actionnaires.
à la bonne santé des cliniques privées
La loi Bachelot (votée au printemps 2009) ouvre aux établissements privés la possibilité de choisir à la carte les missions de service public. L’objectif est d’accroître la concurrence entre établissements (publics et privés), mais sans que les mêmes obligations soient imposées au privé. Le privé lucratif sera ainsi libre d’exercer les missions les plus rentables en laissant au public les missions les plus complexes et les moins rentables, notamment l’aide médicale d’urgence. Par exemple, l’hôpital public fait face au débordement croissant des urgences avec 16 millions de passages par an, dont plus de la moitié devrait relever de la permanence des soins (c’est-à-dire des médecins de garde qui disparaissent depuis que la droite a mis fin en 2003 à l’obligation pour les médecins de participer à la permanence des soins).
À travers la convergence tarifaire public/privé et la systématisation de la tarification prévues dans la loi de financement de la Sécurité sociale (la loi Bachelot fait l’impasse sur le financement de l’hôpital public pourtant critique), le gouvernement accélère par ailleurs la mise aux normes de marché des hôpitaux publics. La tarification se fera désormais au volume d’actes, sans tenir compte de la qualité qui peut varier pour un même type d’acte, ni des complications éventuelles liées à certains patients.

Un modèle unique public/privé

Censé inciter à la productivité, ce système de tarification inspiré du privé conduit à un sous-financement chronique des hôpitaux publics qui reçoivent les publics les plus difficiles (et notamment les multipathologies des personnes âgées et des SDF). Il conduit les hôpitaux à fermer massivement des lits pour maximiser les taux d’occupation, ce qui conduit à des pénuries périodiques de lits et à des risques de crise sanitaires dont les plus pauvres seront les premières victimes.
Avec la loi Bachelot, la gouvernance de l’hôpital public sera désormais calquée sur le modèle privé. L’autonomie apparente des hôpitaux est renforcée avec la possibilité pour le directeur de moduler les rémunérations des personnels, ce qui va conduire à l’instauration d’un véritable marché des personnels et accélérer le pillage de certaines spécialités médicales par le secteur privé. Le pire étant pour l’hôpital public l’impossibilité d’offrir à tous l’accès à certains actes (allongement des listes d’attente avec comme seule alternative le privé et ses gigantesques dépassements d’honoraires). Cette convergence du système public vers les normes du privé se fait au détriment des missions de service public des hôpitaux, obligés de les rogner pour survivre financièrement. Les établissements vont en effet chercher à sélectionner les malades et les pathologies, en se concentrant sur les plus rentables et les moins complexes.

La mort de l’hôpital de proximité
Sous couvert de mutualisation et de mise en réseau des soins, le gouvernement va utiliser les nouvelles « communautés hospitalières » ainsi que les désormais toutes-puissantes Agences régionales de santé (ARS) pour accélérer le recul de l’offre de soins. Elle détourne ainsi les objectifs positifs de mutualisation et de décloisonnement qui sont pourtant urgents, compte tenu de la complexité et des inégalités du système de santé. Le dévoiement voulu de ce système permettra notamment de dissimuler la poursuite de fait des fermetures d’établissements, en les vidant de la plupart de leurs services et en maintenant l’illusion de leur survie via une mise en réseau avec les plus gros hôpitaux et notamment les CHU.
On constate par exemple une diminution drastique du nombre de maternités : 1 379 maternités en 1975, 694 en 2001, 617 en 2007 et 584 début 2008, soit une baisse de 60 % du nombre de maternités alors que la population française a augmenté de 18 % dans le même temps. D’ores et déjà, certains départements se retrouvent avec une seule maternité, ce qui multiplie les risques sanitaires liés à l’éloignement (de nombreuses localités se trouvent ainsi à plus de 45 minutes de l’hôpital, délai considéré comme critique en cas de complications de grossesse). Les services qui pratiquent les IVG ferment également les uns après les autres, laissant à la rue des personnes fragilisées, pour le plus haut contentement des activistes anti-IVG.

Les malades étrangers condamnés à mort

Nous avions déjà annoncé dans un précédent Monde libertaire la probable condamnation des étrangers malades. Le mercredi 13 avril dernier, les sénateurs UMP et centristes l’ont fait. Le Sénat a adopté en deuxième lecture de la loi sur l’immigration un amendement qui scelle le sort des étrangers malades qui pouvaient jusqu’à présent bénéficier d’un titre de séjour pour raisons médicales. Pourtant, en première lecture, les mêmes sénateurs avaient refusé la remise en cause de ce droit et rejeté l’amendement qui le démantelait, contre l’avis du gouvernement. C’est un amendement encore plus dangereux que le Sénat a voté. La loi indiquait jusqu’alors qu’un titre de séjour pour soins pouvait être octroyé à tout étranger gravement malade qui ne pouvait bénéficier d’un accès « effectif » aux soins qui lui étaient indispensables.
L’Assemblée nationale et le gouvernement ont tenté de modifier ce critère, pour parler de « disponibilité » de traitements. Or, c’est bien parce qu’un traitement peut être disponible dans un pays, mais inaccessible aux personnes, pour des raisons géographiques ou financières, par exemple, que les sénateurs avaient refusé cette modification qu’ils avaient jugé inutile et dangereuse. Mais les sénateurs de la majorité gouvernementale ont adopté la modification du critère dans un sens bien pire : c’est maintenant l’absence de traitements qui déterminera si une personne malade peut bénéficier d’un titre de séjour pour soins. Or, pour prendre l’exemple du VIH, presque tous les pays du monde possèdent des traitements ; mais en quantité très insuffisante, dans des conditions de prise en charge de mauvaise qualité, à un prix prohibitif ou réservé à une élite – sans même parler des ruptures de stock, en augmentation depuis deux ans. Les traitements ne sont donc « absents » nulle part dans le monde, mais restent de fait inaccessibles à la plupart des malades.
Dans des « circonstances humanitaires exceptionnelles », c’est au préfet qu’il reviendrait de prendre la décision. On passe donc d’un dispositif de plein droit à l’arbitraire fondé sur la définition que chaque préfet aura de ces circonstances. Et avec quelle garantie du respect du secret médical ? Les sénateurs n’ont pas écouté les recommandations faites par les associations et les professionnels de santé. Et pour atteindre quel objectif ? Celui de Claude Guéant, qui veut encore réduire de façon drastique le nombre d’étrangers en France, pour séduire les électeurs du F-Haine ? Ce type de mesure colle bien à ce scénario démagogique et assassin !