Prendre des uzis pour des lanternes : armes non létales

mis en ligne le 26 mai 2011
La lacrymo-à-papa qui pique les yeux a déjà un pied dans le musée. On n’en finit pas d’imaginer de nouvelles armes non létales pour faire face à des émeutes et autres « crises internes ». On connaissait aussi les lances à eau, les balles en caoutchouc, le Flash-Ball, le Taser et même « les canons à sons 1 ». Mais attendez, il y a mieux.
Souvenez-vous de la prise d’otage dans un théâtre de Moscou en octobre 2002 : 700 otages. Le gouvernement donne l’assaut en envoyant un mélange de substances dérivées du fentanyl, un anesthésiant opiacé développé dans les années 1950. Résultat ? Cent vingt-quatre otages ne se sont pas réveillés. Avec ces « agents incapacitants », on mise sur une perte de conscience, mais comme pour le Taser, parfois on ne maîtrise pas bien la dose...
L’idée n’est pourtant pas neuve. Au milieu du XXe siècle, après avoir découvert des médicaments pouvant traiter des maladies mentales comme la dépression ou des psychoses, les militaires se sont demandé si on ne pouvait pas trouver des substances qui, au contraire, provoquent ces psychoses ! Un nouveau champ de recherche était né. Aujourd’hui, on passe tout doucement aux expériences grandeur nature.
« De même, lors du quatrième Symposium européen sur les armes non létales en 2007, des chercheurs de l’Institut de médecine expérimentale et de l’université Charles de Prague ont décrit les effets sur des singes macaques de combinaisons de médicaments qui produisent un arrêt très rapide du comportement agressif. Ils ont soutenu que les médicaments pouvaient être “utilisés pour pacifier les gens agressifs pendant… des attaques terroristes”. Les mêmes chercheurs ont également étudié des méthodes d’administration d’aérosols à des volontaires humains 2. »
Certes on peut toujours dire que ces armes sont faites pour ne pas tuer. Mais en réalité, ces armes « incapacitantes » améliorent l’efficacité des armes conventionnelles. Les terroristes tchétchènes ont tous été abattus. Et au Vietnam, les Américains ont utilisé des gaz non létaux pour débusquer les Vietcongs de leurs cachettes.
Autre piste de recherche : pourquoi ne pas traiter les champs de bataille avec des « ennemicides » ? L’idée non plus n’est pas nouvelle, comme peut en témoigner le célèbre colonel Moutarde, mais selon les analystes militaires américains, les biotechnologies émergentes annoncent un vrai « changement de paradigme » dans la guerre biologique : on passe au niveau moléculaire. Aujourd’hui on comprend infiniment mieux le fonctionnement des voies métaboliques du corps humain, on peut donc trouver des milliers de manières de les perturber. Comme pour un insecticide ou un herbicide, il est aisé de trouver des molécules qui viennent perturber ces cycles vitaux. L’imagination n’a pas de limite ! Tremblez cancrelats !
Les conventions internationales sont bien incapables de contrôler ces armes. La Convention internationale sur les armes biologiques et toxiques, par exemple, ne s’applique pas aux cas « d’émeutes domestiques » et ne dispose pas de mécanismes qui permettent de vérifier que les gouvernements respectent bien la convention. Quelques voix s’élèvent ici et là, mais rien de bien gênant. Selon l’article de Nature, non seulement très peu de chercheurs désobéissent (en décidant par exemple de « chercher » autre chose…), mais nombreux sont les militaires qui pensent que ces armes seront très utiles, comme en Irak, en Afghanistan ou dans d’autres bourbiers modernes. Les guerres évoluent, les techniques suivent. Ou l’inverse, on ne sait plus trop.
Comment enrayer le phénomène ? Peut-on compter sur la désobéissance des scientifiques ? Sur leur capacité à s’autogérer ? Peut-on faire confiance aux militaires ? Après tout, pourquoi s’arrêteraient-ils en si bon chemin : n’entend-on pas parler de « manipulation intentionnelle des émotions des gens, des souvenirs, des réponses immunitaires ou même de la fertilité » ?

Pol Gaucher




1. « Le “canon à son”, nouvelle arme contre les manifestants », Le Figaro, 28 septembre 2009.
2. « Biologists napping while work militarized », Nature n°460, p. 950-951, 20 août 2009. Le présent article est un résumé de l’article de Nature. Les citations en sont issues.