Une éducation émancipatrice

mis en ligne le 2 juin 2011
En cette fin d’année scolaire, la question de l’enseignement et de l’éducation est encore sur le devant de la scène. Le Monde libertaire a consacré récemment un numéro à l’école 1 : l’école est en danger ; des manifestations ont eu lieu tout aussi récemment partout en France contre les suppressions de postes. L’éducation est malade, ce n’est pas un scoop ; les inégalités s’aggravent un peu plus, beaucoup d’élèves sont en situation d’échec, les enseignants sont épuisés par les diverses pressions qui pèsent sur eux, quasi impuissants, et les incidents se multiplient dans l’enceinte ou aux abords des établissements scolaires. Bref, l’éducation telle qu’elle existe et telle qu’elle est imposée par le système est en faillite.
C’est dans cette ambiance pour le moins morose qu’est publié un opuscule qui traite de l’éducation libertaire. Ce Précis d’éducation libertaire 2, son auteur le souligne, ne se veut exhaustif ni sur le plan des théories ni sur celui des expériences qu’il expose avec pédagogie, ce qui va de soi pour un enseignant, et minutie. Juste un recensement de pensées et de faits qui lui semblent incontournables et qu’il faut creuser, prolonger, continuer à expérimenter.
Hugues Lenoir n’en est pas à son coup d’essai 3 ; enseignant chercheur, il se penche depuis longtemps sur le grand corps malade de l’Éducation nationale qui de toute façon, et dans l’état politique et social actuel, ne remplit pas comme elle le devrait son contrat puisqu’elle aliène et inhibe plutôt qu’elle n’ouvre au monde et n’affranchit « l’apprenant » en lui mettant en main les outils de son émancipation avec lesquels il pourrait même, si bon lui semblait, contrer les principes de cet enseignement libérateur !
Militant anarchiste et, dans cet essai, plus spécifiquement du « ni maître », il se montre historien de l’éducation qui lui semble la plus émancipatrice, recensant d’abord une partie des théories fondatrices de la pensée libertaire en la matière pour s’atteler dans la seconde partie de son opuscule aux expériences concrètes dans leur grande diversité ; c’est ainsi qu’il joint « la tête bien faite » de Montaigne et le « Fais ce que tu voudras » de Rabelais aux pensées plus modernes de Pestalozzi, Godwin, Fourier, Stirner, Proudhon, Bakounine et James Guillaume, avant d’entreprendre une revisite d’expériences souvent difficiles mais riches, de l’orphelinat de Cempuis de Paul Robin jusqu’à l’école Bonaventure de l’île d’Oléron, beaucoup plus récente, et au Lycée autogéré de Paris, encore actif aujourd’hui, en passant par la Ruche de Sébastien Faure, l’École moderne de Francisco Ferrer, Summerhill de Neill, etc.
En chercheur et pédagogue avéré, Hugues Lenoir mène son exploration autour de deux thèmes qui lui tiennent à cœur : la relation maître-élève et la question de l’« éducation intégrale » ; il n’hésite pas à « abuser » des propos de ses prédécesseurs en les citant à tout va comme pour mieux analyser, souligner et détailler l’originalité de chacune de leurs doctrines et pratiques, relier les apports nouveaux de l’une par rapport à l’autre, les points forts, les faiblesses, pour toujours arriver à cet objectif principal : le savoir et l’autonomie de l’individu par l’application et l’enrichissement de toutes ces actions pédagogiques innovantes.
Un hommage aux précurseurs, un bon outil de réflexion en tout cas pour celles et ceux, enseignants ou non, qui portent un intérêt à l’être humain dans son entièreté, à son développement, à sa place dans la société. Agrémenté de quelques pages de photos, étayé d’une riche bibliographie et, cerise sur le gâteau, enrichi, à la fin, d’un portrait de Victor Considérant, pédagogue méconnu dans la lignée de Charles Fourier, il encourage à remettre à l’ordre du jour, à revendiquer et à imposer plus que la construction d’un enseignement, celle d’une véritable éducation permettant de conduire la femme et l’homme à leur affranchissement, de donner à l’une et à l’autre, tout au long de leur existence, les moyens d’acquisition et de consolidation de l’ouverture d’esprit indispensable à une vie sinon totalement libérée, du moins allégée de toute entrave ; car le chemin est difficile, l’environnement économique et social, les intérêts de l’État dirigeant contraires à ces objectifs, et la bataille dépasse le seul domaine de l’éducation.
Comme un champ de tous les possibles, une bouffée d’oxygène.

Michèle Crès



1. Le Monde libertaire, n° 1634, du 5 au 11 mai 2011.
2. Hugues Lenoir, Précis d’éducation libertaire, Éditions du Monde libertaire, 2011, 126 pages, 10 euros.
3. Entre autres ouvrages déjà publiés : Éduquer pour émanciper, Éditions CNT-RP, 2009 ; Henri Roorda ou le Zèbre pédagogue, Éditions du Monde libertaire, 2009 ; Éducation, autogestion, éthique, Éditions libertaires, 2010.