Alternatives en actes, ou comment construire une Amap libertaire

mis en ligne le 9 juin 2011
Les réflexions portées depuis quelques temps par des membres et groupes de la Fédération anarchiste quant à la place que doit prendre un libertaire dans les alternatives en actes : Amap, coopérative de production, groupements d’achat, offrent de nombreux champs d’applications et cela que l’on soit « fédéré» ou tout bonnement «libertaire ».
Entre un pragmatisme visant à envisager la Révolution en consommant bio et un dogmatisme enfermé dans un verbiage radical du genre : « C’est moi le meilleur anarchiste et les autres sont tous des cons donc je ne m’en occupe pas! » Il existe aujourd’hui, dans notre société, où les appareils politiques n’ont plus grand poids, un immense espace de libertés créatrices.
L’exemple de Court Circuit, une «Association » pour le maintien de l’agriculture paysanne, créée à Saint-Denis (93), en mai 2010 par des membres du groupe Henry Poulaille peut servir de fil conducteur.

Une pratique et un contenu libertaire
Il se créé actuellement des Amap un peu partout en France à l’initiative de personnes souhaitant consommer des produits de bonne qualité, souvent des produits bio.
La question ne sera donc pas simplement de créer une Amap mais de se donner, et d’appliquer, un certains nombre de principes qui donneront à cette Amap une coloration libertaire.
Le point essentiel que nous avons expérimenté à Saint-Denis est le refus de créer une structure au sens institutionnel du mot et que ce soit une association ou une multinationale. Lorsque nous avons lancé cette initiative à la Bourse du travail, avec un public d’environ 200 personnes, la question de l’association a bien évidemment été posée et, comme organisateurs, nous avons radicalement exprimé notre scepticisme quant à la nécessité de créer une telle structure… Un débat, animé sans doute, mais qui a débouché sur un collectif sans président , sans bureau ou plus simplement sans espace de pouvoirs où risqueraient de s’incruster quelques politiciens en herbe, ou alors quelques emmerdeurs.
L’Amap Court Circuit fonctionne ainsi de façon horizontale et nous verrons bientôt comment.

Le refus de rentrer dans « l’institutionnel »
Un autre point essentiel quant au fonctionnement de la structure a été de revendiquer une totale indépendance vis-à-vis du pouvoir politique en place et cela quel que soit sa couleur. À Saint-Denis, notre maire est membre du Parti communiste et la négociation que nous avons menée en décembre 2009 reposait sur des principes forts : nous sommes des militants de la Fédération anarchiste, nous voulons créer une Amap de plusieurs centaines de paniers, nous voulons des moyens et non pas de l’argent…
Bien évidemment, tout n’est pas gagné d’avance face à un élu mais il n’empêche que cette approche politique de l’action est claire et radicale… Ou bien le projet peut être mis en place ou bien cela n’est pas possible…

Une charte morale entre les Amapiens
L’engagement des Amapiens est politique et c’est pour cela que notre charte revendique des principes forts et hiérarchisés… Tout d’abord, Court Circuit est une association pour le maintien de l’agriculture paysanne. Habitants d’une ville, notre propos est avant tout de soutenir des agriculteurs ayant une pratique respectueuse de l’environnement et de la biodiversité. Sa vocation est de tisser des liens fondés sur une solidarité entre producteurs et consommateurs. Les relations sont simplement basées sur la compréhension d’intérêts partagés et construites autour de contrats conclus entre humains libres.
La lutte contre la grande distribution est l’objet du second point de notre charte.
La création d’un espace de rencontres, de convivialité, d’amitiés, de créativité et d’échanges est le troisième point d’ancrage de Court Circuit.
Enfin, et contrairement à de trop nombreuses Amap, la question des produits est restée largement ouverte puisque l’engagement de notre agriculteur repose, afin d’aller dans de bonnes conditions vers une production bio, sur l’utilisation dans un premier temps de produits chimiques acceptés par l’agriculture biologique et dans une second temps, sur la demande de certification bio d’ici trois ans.

Les résultats
Après avoir trouvé un jeune agriculteur de proximité (ce qui n’est pas le plus compliqué contrairement à ce que l’on dit souvent !) nous avons lancé Court Circuit en mai 2010 pour un premier panier hebdomadaire de cinq légumes et fruits à 10 euros à partir de septembre 2010. Soixante-dix familles se sont engagées sur six mois, soit jusqu’à mars 2011.
À cette date, cinquante nouvelles familles nous ont rejoint pour la période mars 2011 à septembre 2011.
Enfin, un nouvel agriculteur, producteur bio, propose, depuis mai 2011, quarante paniers supplémentaires en attendant la rentrée de septembre où Court Circuit comptera 200 paniers.

Un terreau fertile aux pratiques et idéaux libertaires
La création de Court Circuit nous a permis de mettre en lumière une pratique et des valeurs libertaires. L’espace nécessaire à la distribution des paniers hebdomadaires les mercredi et jeudi a débouché sur l’ouverture d’un lieu alternatif qui regroupe Court Circuit mais aussi l’université populaire de Saint-Denis, un centre sur la laïcité, une bibliothèque sociale forte de 350 ouvrages, offerts par les éditeurs amis, un rayon de vente de produits équitables en libre service et, bien sûr, le groupe Henry Poulaille.
Ce local est à la disposition des membres de l’Amap qui y organisent des ateliers vélos, des projections de documentaires, des répétitions artistiques diverses. Parallèlement, une équipe d’une vingtaine d’Amapiens a lancé une expérience de culture « en lasagnes » sur une friche abandonnée et un autre groupe réfléchit à un développement du compost sur notre ville.
Enfin, cette expérience nous a permis de soutenir, à hauteur de 70 pains par semaine, la boulangerie coopérative La Conquête du pain, qui s’est créée à Montreuil en septembre 2010.

Et alors !
Parce que nous sommes membres de la fédération anarchiste, nous pensons que l’action organisée est nécessaire face au capital et aux politiciens de droite comme de gauche… La création d’une Amap, au-delà du soutien à un jeune agriculteur, de la qualité des produits consommés et d’une convivialité évidente peut devenir un creuset libertaire. C’est ce à quoi nous nous emploierons dans les mois qui viennent.

Jean-Claude Richard, groupe Henry-Poulaille (Saint-Denis) de la Fédération anarchiste