De la révolution au réformisme radical

mis en ligne le 2 octobre 1986
Dans son dernier bouquin Nous l'avons tant aimée, la révolution, Daniel Cohn-Bendit se fait le chantre de ce qu'il croit être une nouvelle démarche politique : le réformisme radical. Pour lui c'est clair, et la plupart de ceux qu'il a interviewés abondent dans son sens, la révolution c'est non seulement dépassé mais de plus c'est dangereux.
À première vue, si on s'en réfère à certains témoignages figurant dans son livre, la révolution est effectivement dépassée. Qui aujourd'hui dans la population, au sein du prolétariat comme au sein des laissés-pour-compte en tout genre, souhaite que le champ social s'embrase aux cent mille feux de la révolution ? Les victimes de l'exploitation et de l'oppression ne préfèrent-elles pas la démerde individuelle à une démarche collective ? N'aspirent-elles pas à transformer un jour et à n'importe quel prix le plomb de leurs « échecs » en or pur « made in » réussite sociale ?
Dans ces conditions, à quoi bon s'user à essayer d'aller apporter la bonne parole à ceux qui ne veulent pas l'entendre. On ne fera pas la révolution contre la population. Et donc à quoi bon militer pour une rupture avec un système que personne ne rejette ? Mieux vaut essayer d'améliorer ce système qui, après tout, est quand même « mieux » que certains autres : suivez mon regard !
À première vue encore, toujours si on se réfère à certains témoignages figurant dans le dernier livre de Cohn-Bendit, la révolution semble être quelque chose d'extrêmement dangereux. D'une part, elle amène un certain nombre de ceux qui s'en réclament à sombrer dans le terrorisme et à dériver lentement mais sûrement de la lutte armée vers le fanatisme le plus sanguinaire. Et d'autre part, quand elle réussit à triompher elle ne parvient à rien d'autre qu'à mettre en place un système totalitaire cent fois pire que ce qui existait auparavant.
Aussi soyons clairs, nous disent la plupart des déçus de la révolution qui s'expriment dans ce livre : la démocratie ça a quand même du bon.
Certes, nous dit Dany Cohn-Bendit, il est nécessaire de la « reformuler », car ce n'est quand même « pas le rêve ». Mais du moins, « les gens peuvent choisir ». Et ça c'est fondamental. Et puis si on y réfléchit bien, nos idées de soixante-huitards ont été finalement assez bien intégrées par la démocratie. Alors à quoi bon chercher à détruire cet espace du possible ? Mieux vaut essayer d'améliorer ce système en jouant le jeu du réformisme. Radical, s'entend. En participant aux élections. En acceptant le pouvoir et l'État. En essayant d'en influencer ou d'en gérer les centres de décision.
Bref, soyons réalistes, demandons le possible ! Mais, mais... il y a une série de mais qui « interpellent » ce beau raisonnement.
Si on s'en réfère à l'histoire, en effet, et Wilhem Reich dans Psychologie de masse du fascisme nous a expliqué tout ça d'abondance, la population, laborieuse ou non, n'a jamais été révolutionnaire que quand elle ne pouvait faire autrement lors de crises très graves. Et donc si la révolution devait être dépassée aujourd'hui, cela voudrait dire qu'elle l'a toujours été. Mais comment pourrait-elle l'être puisque la situation n'arrive pas, fondamentalement, à changer et que l'exploitation et l'oppression du plus grand nombre par une minorité continuent à prospérer... même au royaume de la démocratie et du réformisme ?
En fait, plutôt que la révolution ne serait-ce pas certains révolutionnaires qui seraient aujourd'hui dépassés ? Car, soyons sérieux, ceux qui brocardent aujourd'hui avec tant d'allégresse leurs idées de jeunesse avaient une conception bien particulière de la révolution et c'est ceux-là qui ont sombré dans le terrorisme avant-gardiste, imbécile et criminel. Et c'est ceux-là qui, quand ils ont réussi à s'emparer du pouvoir, ont fait pire que ceux qu'ils avaient vaincu.
Pour d'autres révolutionnaires, les libertaires, le problème ne s'est jamais vraiment posé en ces termes. Il n'y a pas davantage de fraction armée noire que de totalitarisme dans les pays où, comme en Espagne en 1936-1939, les anarchistes ont changé de fond en comble le système social.