Histoire d’un symbole : le drapeau noir

mis en ligne le 5 mai 1994
Les dernières manifestations contre le CIP ont été l’occasion de brandir bien haut nos drapeaux noirs. À Montpellier, d’un défilé à l’autre, ils se levaient chaque fois plus nombreux. L’un d’entre nous a même fait prendre la tête d’un cortège à l’un d’eux avant qu’un service d’« ordre » (toujours prompt à endiguer tout débordement subversif) ne le renvoie d’où il était venu. Mais l’imagination des camarades ne s’arrête pas à l’injonction d’un petit chéfaillon, et le bout de chiffon fut planté sur la statue des Trois Grâces, place de la Comédie, en plein centre-ville bourgeois où il a flotté fièrement plusieurs heures.
Mais en cette période de 1er Mai, connaît-on l’origine du drapeau noir ? Bien des anars sont embarrassés quand on leur pose la question. Voici quelques éléments de réponse.
Le noir est historiquement une des couleurs de la classe ouvrière. « C’est l’emblème des sans travail », disait Louis Michel, qui lutta pour son adoption en 1883. Sa naissance remonte à 1831, à Reims, quand des terrassiers au chômage se révoltèrent et le brandirent en signe de désespoir et de misère, accompagné de pancartes portant l’inscription : « De l’ouvrage ou la mort » (eh oui, déjà !). La même année à Lyon, d’autres terrassiers le hissèrent sur la Guillotière. Huit mois plus tard, éclatait la révolte des Canuts (les ouvriers de la soie), qui en firent leur emblème. Dès lors, tous les révoltés de la terre, tous ceux qui luttèrent pour l’émancipation, l’autonomie, la liberté et l’autogestion se placèrent sous sa bannière. C’est le seul drapeau qui n’ait pas abrité un gouvernement, ni servi d’étendard à une autorité constituée. De la Makhnovtichina d’Ukraine, en 1918, en passant par les conseils d’usines italiens en 1920, il a représenté les luttes pour la liberté.
« Cependant les anarchistes sont les seuls qui voient en lui, écrit Sébastien Faure dans l’Encyclopédie anarchiste, non pas un symbole, mais un morceau de chiffon qui sert à rallier tous les camarades au cours d’une promenade ou d’une manifestation. Ils remplaceraient tout aussi bien ce drapeau par une pancarte ou tout autre ustensile, mais le drapeau porté bien haut est plus pratique et se voit de loin. Il leur arrive de le défendre, non parce qu’ils pensent qu’un mètre de tissu vaille la peine de se battre et de coûter la vie à des camarades, mais parce que ce n’est jamais à leur drapeau qu’on en veut mais à leurs idées. »
À n’en pas douter, notre chiffon a encore de beaux jours devant lui. La révolution reste à faire.

Cathy (groupe de Montpellier)