Cinquante ans après le 17 octobre 1961 : à quand l’anniversaire de la mémoire retrouvée ?

mis en ligne le 29 septembre 2011
Retour sur les faits
Cinq mois avant les accords d’Évian mettant fin au conflit que l’État français n’appela officiellement « guerre » qu’en 1999, le Front de libération nationale (FLN) mobilise la communauté algérienne pour une marche d’ampleur dans Paris. Les Algériens protestent contre le couvre-feu raciste à l’encontre des seuls Français musulmans d’Algérie, décrété le 5 octobre par le préfet de police Maurice Papon : entre autres mesures, interdiction de circuler dans les rues entre 20 h 30 et 5 h 30. Le mot d’ordre du FLN, sévère, est suivi : la manifestation sera pacifique, le port d’arme prohibé sous peine de mort. Les indépendantistes veulent gagner l’opinion publique.
Trente mille Algériens, hommes, femmes et enfants, se rassemblent le 17 octobre. Papon, lui, a déployé des forces de police impressionnantes en vue d’une répression rigoureusement planifiée (lire à ce propos Les harkis à Paris et Ratonnades à Paris de Paulette Péju, Maspéro, 1961 puis La Découverte, 2001 ; et La Bataille de Paris, 17 octobre 61 de Jean-Luc Einaudi, Seuil, 1991). La suite, grâce à eux d’abord, est maintenant connue. La police se livre à une impitoyable chasse à l’homme. Les Algériens sont bastonnés à coups de « bidules », assassinés par balles ou noyés, parfois vivants, dans la Seine. Deux cents, environ, meurent cette nuit-là. Sur 30 000 Algériens, 14 000 sont raflés puis parqués dans d’effroyables conditions sanitaires au Palais des Sports, au Parc des Expositions et au stade Coubertin. Certains sont internés dans des camps sur l’ensemble du territoire, parfois pendant plusieurs années.
Quand la fiction s’empare de l’histoire
Dans l’attente que, grâce aux historiens, l’État reconnaisse ce crime contre l’humanité, on assiste à l’émergence d’œuvres qui entendent faire recouvrer la mémoire. C’est le signe d’une évolution des mentalités. Parmi elles le roman d’Éric Michel, Algérie ! Algérie !, couvre la totalité de la guerre d’Algérie. Il se démarque d’abord en faisant éclater au grand jour la responsabilité de la France dans le conflit et est écrit du point de vue algérien. Les personnages algériens sont dotés d’une authentique psychologie. On comprend les motivations profondes des indépendantistes, notamment celles de Nedjma, une femme de tête. Croyant son père insurgé tué par les paras, elle quitte l’Algérie et s’engage en France avec les porteurs de valises du réseau Jeanson. Ensuite, les personnages et intrigues secondaires convergent vers les massacres d’octobre. La chaîne des événements, minutieusement rétablie, ils trouvent un écho amplifié.
Le roman, en six parties, ne tait aucune page du conflit.
« Ceux qui vont mourir te saluent ». La torture et la raison d’État ont une place prépondérante, dans un contexte où le gouvernement français abandonne en Algérie les pouvoirs de police à l’armée. Papon, qui fournit ses premières armes à Constantine comme inspecteur général, y peaufine ses méthodes répressives.
« Les sentinelles ». On découvre les harkis, dont le frère du père de Nedjma, qui participe au premier attentat terroriste à Alger organisé par les ultras français, et sera de la bataille d’Alger.
« Cap au pire ». Les méthodes répressives et la torture testées en Algérie gangrènent la France, tandis que l’héroïne et un jeune historien, Léo, prennent tous les risques pour acheminer à l’étranger les fonds du FLN.
« Comme on se venge pour conjurer la folie ». Nedjma et Léo entrent dans une clandestinité totale et apprennent que Papon est lié au sort malheureux de leur père respectif.
« Noyés par balle ». Les harkis, employés comme supplétifs de la police, contribuent aux ratonnades, monnaie courante en 61. Le couvre-feu raciste décrété, Nedjma et Léo décident d’assassiner Maurice Papon.
« In nomine patrie », en des pages réalistes et poignantes, est le cadre de massacres où se rejoignent tous les personnages, à l’occasion d’une course effrénée dans les rues de la capitale jusqu’à la préfecture de police, lieu des pires exactions.
Au total, Algérie ! Algérie ! est assurément un roman incontournable sur la guerre d’Algérie et des massacres qu’il conviendrait de renommer, à la suite d’éminents historiens ou philosophes, un pogrom. Histoire de donner tout son sens, à l’occasion du cinquantenaire des massacres du 17 octobre 1961, au mot « anniversaire ». Et de retrouver le chemin de la mémoire.

Éric Garnier
Rédacteur en chef à L’Actualité de l’histoire