Jean Amila, un écrivain populiste et libertaire

mis en ligne le 9 novembre 1995

Jean Meckert alias Jean Amila est mort au début du cette année et les anars se doivent de lui rendre un hommage (même s’il est un peu tardif…).

En effet, cet écrivain déclarait pudiquement dans une interview accordée au Monde libertaire : « Je ne sais pas si je suis anarchiste mais j’en ai les idées ». L’anarchisme est présent dans ses romans, directement (par le choix des personnages) ou indirectement (par la critique de l’État, de l’armée ou des services secrets…).

Jean Meckert est né en 1910. Fils d’un déserteur anarchiste de la guerre de 1914-1918, il est placé dans un orphelinat puis travaille en usine dès l’âge de 14 ans. Il publie en 1942 son premier roman, Les coups, qui impressionne les critiques littéraires. Après un bref passage dans la résistance (il quittera le maquis après l’assassinat d’un soldat allemand isolé, que son groupe ne voulait pas faire prisonnier), Jean Meckert écrit d’autres romans dans la même veine populiste : La Lucarne, Nous avons les mains rouges…

Malgré les éloges de Queneau et de Gide, le succès ne vient pas. Aussi, Marcel Duhamel, le directeur de la Série noire lui propose dans les années 50 de se lancer dans le polar. Jean Meckert lui propose un pseudonyme : John Amilanar (forgé sur « ami l’anar, bien sûr !), que Duhamel transformera prudemment en… Amila. Il s’ensuit une œuvre abondante, inégale mais où l’on retiendra d’excellents romans tels que La lune d’Omaha, contant la dérive d’un ancien GI, déserteur sur le front de Normandie, ou Pitié pour les rats, avec son cambrioleur anar obligé d’héberger un tueur de l’OAS qui sèmera le malheur.

Dans les années 60, Amila est mêlé à un problème toujours d’actualité : les essais nucléaires français de Moruroa ! À la demande d’un éditeur grand public, il est chargé d’écrire un roman d’espionnage situé à Tahiti (pour l’exotisme) moyennant un voyage là-bas. Il apprend que des Polynésiens irradiés lors des essais à ciel ouvert ont été massacrés par l’aviation française afin d’étouffer le scandale. C’est ce qu’il révèle en quelques lignes dans un roman bien anodin (ce détail a toute son importance), intitulé La vierge et le taureau. Les services secrets font immédiatement saisir le livre et menacent d’expulsion le directeur de collection qui était étranger. Quelques jours plus tard, Amila est sauvagement agressé dans un parking et laissé pour mort…

Il survivra à cet attentat mais il est devenu totalement amnésique. Il doit alors reconstituer son passé à l’aide de ses proches. Le boucher des Hurlus est un exemple de cette réappropriation de sa mémoire. Bien que publié en « Série noire », il plaira même à ceux qui détestent le polar ! Nulle intrigue policière dans ce roman populiste qui raconte l’odyssée d’orphelins de guerre cherchant à se venger d’un officier à travers les charniers de 1914-1918.

Ses derniers romans – Le chien de Montargis (contre le culte des animaux domestiques et surtout contre leurs propriétaires), particulièrement saignant, ou Au balcon d’Hiroshima, polar antinucléaire – confirment qu’il n’avait rien perdu de son talent jusqu’en 1987, date de son retrait de la littérature.
Aujourd’hui, nous devons garder le souvenir d’un très bon écrivain et d’un… compagnon.

Salut, ami l’anar !

 

Yves B.